Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

règne l’Empire allemand ; considère d’un cœur joyeux sa vaillance ! — C’est une devise de ce goût qu’il faudrait graver au centre de l’entrée. Car ce qui se révèle silencieusement dans ce hall, c’est la puissance : c’est la puissance de l’Empire de Wilhelm II, mûre, prête, décidée, forte du même droit, de la même possession, de la même autorité, s’il lui fallait assurer sa place parmi les puissances du monde, dans un nouveau partage du globe, que celles que le destin de ses peuples a publiées comme son immuable décret [1]... »

Alors, on s’enfonçait dans des salles obscures, çà et là, éclairées d’une lumière louche, vers des fontaines où l’eau semblait rouler une poussière d’or. Des meubles trapus se courbaient vers la terre et y enfonçaient leurs griffes, comme s’ils avaient peur qu’on les en arrachât. Des cheminées en forme de sarcophages, des tables myriapodes, des tentures massives comme des cottes de mailles, défiant le temps, des figures de cauchemar : toujours la lutte de l’homme contre la destinée, ou des symboles du courage, de la patience, de la force : une lionne, un chevalier tout armé ; des forêts sombres, des sommets incultes, neigeux, une nature implacable dans son indifférence ou son hostilité, — voilà ce qu’on rencontrait toujours et partout. Ah ! elle était loin, la recherche du gemütlich ! Ce n’était pas beau, mais c’était écrasant. Parmi la dispersion des autres pays, l’Allemagne se présentait, là, unie et disciplinée comme une armée en bataille. Et quand on repassait sous le velum et sous le monument sculpté par Calandra, et qu’on quittait cette éphémère apothéose de l’extravagance internationale, que fut l’Exposition de Turin, en 1902, on emportait une impression de malaise à la pensée de l’immense nation organisant un art comme on organise une invasion.

D’où venait cet art ? De l’endroit le moins fait, semble-t-il, pour inspirer de pareils énergumènes : de Darmstadt. Car c’est de là, plutôt que de Munich, plutôt que de Weimar, qu’est parti, à la fin du XIXe siècle, le mouvement qui devait « rénover, » au dire de M. Ostwald et de M. Kuno Francke, « l’Art de la maison, » en Allemagne. Il y avait, en ce temps-là, dans la capitale de la Hesse, un jeune prince épris des arts, qui venait de ceindre la couronne grand-ducale. Il s’appelait Ernst-Ludwig,

  1. Georg Fuchs. Le Vestibule de la maison de Puissance et de Beauté. Deutsche Kunst und Dekoration. Darmsladt. 1902.