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n’ont qu’à reproduire quelque page célèbre, de Sascha Schneider, par exemple, en en détournant le sens. Ainsi, le Destin, batracien dégoûtant, guette l’homme nu, désarmé, qu’il encercle de ses griffes inévitables : c’est, dans leur folle présomption, Hindenburg guettant le grand-duc Nicolas. Malheureusement, cette entreprise de terreur échoue de façon misérable. Le Lucifer de Stuck ressemble à un jeune Anglais qui suit passionnément les péripéties d’un match de boxe ou de foot-ball. Son Remords est un marin en permission qui a pris le pas gymnastique pour ne pas manquer le dernier canot. Son triomphateur de la Guerre est un gars de la campagne qui revient, le soir, sa journée finie, sur son cheval fourbu. Son Vice et toutes les femmes fatales, qu’il a entortillées d’un serpent boa ou python, semblent tout simplement des charmeuses de serpens. Son Guerrier est un jeune valet de chambre qui époussette une statuette de la Victoire avec un plumeau fait de feuilles de laurier. Son Ange du Paradis perdu est une manière de suisse qui, debout, raide, les jambes écartées, tient son épée flamboyante fichée en terre en face de lui, comme un portier de Rome sa canne à boule, sous le portique d’un somptueux palais. Tout cela rappelle inévitablement le piteux effet que produit, à la scène, l’apparition de Fafner. Mais, à côté de ces horrifiques images, figure-t-il un faunin luttant, tête contre tête, avec un jeune bélier, dans un cercle d’autres petits faunes ébahis, ou dessine-t-il des paysans allemands en visite dans un musée, pour les Fliegende Blaetter, — et voici la main d’un artiste vrai, particulier, spirituel, qui paraît.

Sur un point, toutefois, cet appel à la terreur est émouvant dans la Danse des Morts. Klinger a fait toute une suite d’eaux-fortes intitulée De la Mort, fort ingénieuses, à la manière de M. André de Lorde, pour entretenir, chez l’être périssable que nous sommes, l’appréhension du mystère et l’horreur de l’étroit passage. Ses Miséreux au carcan ; son bébé assis sur le rigide cadavre de sa Mère endormie ; sa figure d’homme en train de se noyer ; sa Pieta, où saint Jean a pris la tête de Beethoven ; sa Mort guérisseuse, conçue à la manière du « libérateur céleste » de Lamartine, tout cela est nouveau et d’un artifice assez adroit à nous émouvoir. Cela doit tenir à quelque caractère foncier de la race, car, à toutes les époques, les Allemands ont excellé dans le squelette. La suite d’Holbein est géniale. On pourrait