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longtemps, sans autre prétention que de les divertir, à leurs auditoires ébahis ! Tout cela n’était que de petits côtés de l’Allemagne, traduits par un art aussi bien flamand ou hollandais qu’allemand. A un grand peuple il fallait un grand art, nettement national et inspirateur de grandes actions. L’Art devait être l’éducateur des masses et non leur amuseur. Rembrandt avait été un « éducateur. »

Mais ce n’est pas une culture étrangère, c’est-à-dire « inférieure, » que l’Art devait apporter aux peuples germaniques, c’était une culture germanique, par conséquent empruntée au sol même de la patrie. On répétait ces mots du poète Stephan Georg : « Ce qui est le plus nécessaire à l’Allemagne, c’est un geste qui soit, enfin, allemand ! Cela est plus important que la conquête de dix provinces ! » Voilà où en étaient les jeunes artistes et la jeune critique d’outre-Rhin, dans le dernier quart du XIXe siècle. Ils cherchaient le maître qui ne devait rien aux nations rivales, ni au sentiment latin, pour en faire leur maître. Ils cherchèrent longtemps, tous leurs peintres à cette époque étant plus ou moins infectés de l’esprit et de la technique des Français. Enfin, ils crurent apercevoir celui qui devait les libérer et concentrer les aspirations de Berlin, de Weimar, de Munich, de Darmstadt, de Dresde, de Hambourg. Ils l’aperçurent, debout, au seuil de l’Allemagne, sur les bords du Rhin, tenant la clef du grand art entre ses mains. ils se précipitèrent vers cet Allemand-type. C’était un Suisse.

Certes, il y a beaucoup à prendre en Suisse et à en apprendre. Les exemples que ce pays nous donne, dans la paix et dans la guerre, seraient bons, par toute l’Europe, (à méditer. Et quand on considère que le Suisse en question était de Bâle, il n’est pas très surprenant, au premier abord, qu’une tradition purement alémanique ait pu revivre en lui. A la vérité, il n’habitait point Bâle : il habitait San Domenico, près de Florence, à mi-côte de Fiesole, et vivait entouré de cosmopolites. Mais ce ne sont là que des contingences. Malgré son obstination à vivre loin de sa patrie, on pourrait imaginer qu’il est resté fidèle à sa race, en son volontaire exil. Mais si l’on voit une seule de ses œuvres, on est tout de suite fixé. Tout l’œuvre de Bœcklin est un effort furibond, têtu, désespéré, pour se rattacher à l’antiquité classique et méditerranéenne. C’est une perpétuelle nostalgie d’une race et d’un pays et, plus encore, d’une culture