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que la science allemande voile au peuple allemand les réalités sanglantes de sa récente histoire. La brutalité sauvage des instincts, le déchaînement forcené des passions dominatrices, s’autorisent de la rigueur spécieuse des thèses impérialistes et se glorifient même de servir à les réaliser. Derrière toutes ces théories, on trouverait surtout, peut-être, en dernière analyse, la réalité plus simple d’un âpre besoin de vendre et de faire des affaires. L’impérialisme allemand, dans sa forme actuelle, est avant tout un mercantilisme.

On juge l’arbre à ses fruits et la valeur d’une doctrine à ses conséquences. Le premier châtiment des faux prophètes, c’est leurs disciples, qui, dépassant les bornes, font apparaître toute la force corrosive, tout le venin caché des systèmes, les condamnent et commencent de les ruiner à mesure qu’ils se réalisent. La politique et la guerre allemandes se chargent de traduire en actes les dangereuses théories de la spéculation allemande. Les massacreurs de Belgique et de France ont mal servi les intérêts germaniques en décelant trop tôt l’aboutissement pratique du système. Mais les soldats de l’empereur Guillaume ont trouvé des disciples qui les ont surpassés. Les Turcs, qui ont perpétré les horreurs d’Arménie, ajoutent un terrible poids de responsabilités sanglantes sur les épaules, déjà si chargées, de leurs maîtres allemands, car si l’exécution est turque, la méthode est allemande.


I

La responsabilité morale de l’Allemagne ne fait pas de doute. Quand il se trouve des théoriciens pour édifier des doctrines de mort, il se trouve toujours des esprits simplistes et logiciens pour les appliquer ; les maîtres sont responsables des disciples. Entre les massacres de Belgique et ceux d’Arménie, il y a une différence de degré, non pas de nature.

Les Allemands avaient un intérêt politique à la disparition des Arméniens. Ils poursuivent, depuis longtemps, avec une méthode et un esprit de suite qui ont manqué à leurs adversaires, le dessein de faire de la Turquie un champ d’expansion et de colonisation pour la race allemande. Ce vaste projet de domination politique et économique s’est développé et précisé à mesure que le chemin de fer de Bagdad s’allongeait à travers