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voiture, un petit tas de pommes de terre ramassées dans un champ : cette nouvelle le ravit, en l’allégeant de son inquiétude sur le menu du souper proposé.

Nous le suivîmes dans sa demeure, qui se trouva être une grande maison entre deux jardins. Dès notre entrée dans la maison, la faible lueur d’une lanterne nous révéla un spectacle extraordinaire. On nous avait bien dit déjà, dans la petite ville, que les officiers allemands logés chez M. G… avaient emporté, en s’en allant, un énorme butin : mais le fait est que, en outre, l’intérieur de la maison ressemblait beaucoup plus à une étable de porcs qu’à une habitation humaine. Les Allemands avaient brisé toutes les serrures et vidé sur le plancher le contenu de tous les meubles, armoires, commodes, bureaux, afin de pouvoir ainsi, plus à l’aise, choisir et emporter ce qui leur plairait. Toute la maison était tapissée de reliques des générations successives des ancêtres de M. G…, et l’on voyait là, pêle-mêle, depuis des robes de bal mangées aux miles jusqu’à de vieilles photographies. M. G… avait dû pratiquer des passages à travers ces monceaux de débris, comme l’on ouvre des sentiers à travers une neige nouvellement tombée.

La vue d’un tel déballage nous remplissait d’une véritable stupeur : mais nulle part, peut-être, les Allemands n’avaient procédé avec autant d’entrain à leur dévastation que dans la salle à manger. Pour chacun des repas servis par les « brosseurs » à la demi-douzaine d’officiers qui logeaient dans la maison, ceux-ci avaient fait mettre sur la table le linge le plus fin de M. G… et la plus riche porcelaine ; et puis, chaque fois, le repas fini, les convives avaient pris la nappe par ses quatre bords et l’avaient jetée à terre, dans un coin de la vaste pièce, avec la vaisselle, les bouteilles de cristal, les serviettes, comme aussi le restant des mets. De repas en repas, l’opération s’était reproduite, avec une nouvelle destruction de tout ce qu’il y avait d’impossible à emporter parmi les choses précieuses que renfermait la maison…

M. G… nous ayant présentés à trois aviateurs français qui demeuraient chez lui, ces messieurs voulurent bien nous emmener dans le jardin, pour nous montrer un autre vestige bien significatif du passage récent de leurs collègues d’outre-Rhin : c’était un amoncellement de bouteilles cassées, qui, elles-mêmes, ne formaient qu’une petite partie des 15 000 bouteilles de Champagne volées par les officiers allemands aux caves de notre hôte. Nous apprîmes en même temps que ces caves avaient été entièrement vidées, et M. G… nous avoua que sa fortune personnelle aurait peine à se remettre d’une catastrophe aussi radicale.


Mais c’est surtout en Allemagne, dans leur propre pays, que M. Wood a pu connaître et apprécier les compatriotes de ces aimables hôtes de M. Achille G.., lorsque, au mois de décembre 1914, comme on l’a vu, il est allé porter à Berlin plusieurs ballots de documens diplomatiques. La discrétion « professionnelle » du jeune « attaché » l’empêche, nous le sentons bien, de s’exprimer en toute