Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au moins 250 000 hommes. Une lutte terrible s’y était prolongée sans interruption pendant trente-six heures ; et déjà les Allemands s’étaient crus victorieux, lorsqu’un dernier assaut du 9e corps français, sous les ordres du général Foch, avait changé leur triomphe en une déroute complète.


Je ne puis songer, malheureusement, à reproduire ici l’émouvante peinture que nous offre M. Wood de ce combat de la Fère-Champenoise, dont les moindres incidens, — en raison même de l’importance exceptionnelle qu’il leur attribue, — nous sont décrits avec un relief et une précision inoubliables. Qu’il me suffise de noter que, dans cette partie de la bataille de la Marne comme aussi dans toutes celles de ses autres parties qu’il a eu l’occasion d’étudier, l’écrivain américain explique notre victoire par la supériorité de notre artillerie de campagne et, plus encore, par la supériorité personnelle de nos soldats, en regard des soldats allemands. « Ayant mis sur un seul coup de dés le sort de leur familles et de leur bien-aimée patrie, les Français ont gagné l’une des batailles les plus désespérées de l’histoire du monde par le sang-froid résolu de leurs chefs et par la sublime ténacité, l’esprit de sacrifice héroïque de leurs hommes. Ceux-ci ont vraiment dépassé les plus belles traditions de leur race. Sur le désir de leurs chefs, ils ont rejeté leurs vies comme l’on rejette un papier inutile ; et, en présence de conditions nouvelles, ils ont soudain développé en soi des qualités nouvelles, des qualités de résistance acharnée, et quasi scientifique, dont personne jusqu’alors ne les avait crus capables. Ils se sont montrés plus allemands que les Allemands dans la manière dont leur organisation a soutenu le choc le plus forcené de la lutte, à tel point que c’est la machine de guerre allemande qui a fini par céder pied. Sur ces plateaux et ces plaines de la Marne, une victoire a été remportée, dont tout l’honneur ne revient qu’à la France. Par où je n’entends certes pas déprécier le mérite militaire des Belges, ni des Anglais : le peu d’importance relative de leur rôle dans cette bataille a tenu simplement à leur petit nombre. A Liège et à Namur, à Mons et à Saint-Quentin, ils ont noblement préparé le triomphe décisif des Français sur les bords de la Marne. »

Vingt fois, au cours de son récit, M. Wood évoque devant nous des exemples significatifs de ces étonnantes vertus que lui a révélées le contact familier du soldat français. A côté de l’intrépide bravoure du « poilu, » il nous montre sa tranquille et souriante sagesse, la lumière