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dans les réunions les plus guindées et dégelait les froideurs les plus glaciales. Cette même cordialité le faisait rechercher dans les associations professionnelles, où son expérience et son esprit de conciliation rendaient de perpétuels services. Il était la serviabilité faite homme.

J’ai mis en réserve, afin de le détacher de l’ensemble, un livre de Mézières qui, relu à la lueur des événemens actuels, prend toute sa tragique signification. Pendant le siège, Mézières s’était enfermé dans Paris : il avait été, à cette Revue, avec Gaston Boissier, Émile Beaussire, Caro et quelques autres, l’un des rédacteurs qui en avaient assuré la publication. Il était chargé de tout ce qui concernait la guerre dans l’Est. Ce furent presque simultanément l’invasion en Lorraine et l’invasion en Alsace. L’armée de Metz était intacte et on comptait sur l’énergie de son « intrépide général. » Peu à peu, le jour se faisait sur les véritables conditions dans lesquelles la plus importante de nos places fortes avait été rendue. Cependant, d’héroïques résistances, à Bitche, à Longwy, à Belfort, sauvaient ce qui pouvait être sauvé : l’honneur. Lecture poignante et combien suggestive ! À mesure qu’on avance dans ces Récits de l’invasion, une impression en ressort et vous prend à la gorge : ces pages, qui datent de quarante-quatre ans, semblent écrites d’hier. Est-ce la guerre de 1870, est-ce la guerre de 1914 dont il est question ? Mêmes méthodes de nos ennemis, mêmes atrocités systématiques, dont le retour devait pourtant nous surprendre comme une nouveauté ! « La Prusse n’aime pas les guerres longues qui enlèvent à l’agriculture, à l’industrie, aux professions libérales, tous les hommes valides et suspendent la vie dans le pays tout entier. Elle déploie tout de suite des forces écrasantes, elle frappe des coups terribles avec l’espoir de forcer sur-le-champ ses adversaires à la paix. » C’est l’ « attaque brusquée. » Et voici les destructions systématiques, les atrocités commises de sang-froid pour terroriser l’adversaire : « Autrefois, les actes de destruction n’étaient qu’un accident ; on les attribuait aux emportemens de la lutte, à la brutalité du soldat. En 1870, la destruction est devenue systématique : on a détruit avec méthode, pour semer la terreur et hâter la victoire. » Est-ce au lendemain de l’incendie qui anéantit la bibliothèque de Louvain qu’ont été écrites les lignes suivantes ? « En quelques minutes, sans aucune nécessité stratégique, par la main d’un soldat opiniâtre, la