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les faits. De même, il y a dans chaque drame une passion dominante dont le poète décrit l’évolution et dont il tire une leçon morale. Roméo et Juliette ont cédé à la passion : la mort est leur châtiment. Desdémone, malgré son innocence, porte la peine de la première faute qu’elle a commise. Et ainsi de suite… Reprochera-t-on à ce Shakspeare d’être trop évidemment revu par un classique, et vu par lui à travers Racine et Molière ? Il se peut. Ce n’est pas tout Shakspeare, je l’accorde, mais c’est notre Shakspeare, mis à la portée d’un peuple de psychologues et de moralistes.

Chargé d’étudier les « littératures du Nord, » le professeur, en ces âges lointains, avait aussi bien dans son programme les « littératures du Midi. » Mézières n’a écrit sur Dante que quelques pages de circonstance, à propos de son jubilé. Mais son étude sur Pétrarque est très fouillée. Il montre d’abord en Pétrarque l’amant de Laure, amant platonique et d’ailleurs platonique malgré lui ; mais Laure était une honnête femme, d’une vertu sévère, inébranlablement attachée à ses devoirs envers son mari et ses neuf enfans. Elle traita le poète avec rigueur. Comment réussit-elle à le retenir si longtemps ? Par sa beauté, qui pourtant se fana vite, étant une beauté de blonde épuisée par des couches trop fréquentes ? Par une coquetterie vertueuse ? Ou par un autre lien, le plus fort de tous ? Car il semble bien qu’elle aima Pétrarque, sans le dire, mais non pas sans que Pétrarque en ait jamais rien su. Ce Pétrarque du Canzoniere est le plus connu : ce n’est pas le plus vraiment grand. Le vrai Pétrarque n’est pas seulement un faiseur de sonnets et de chansons : c’est la plus haute figure du XIVe siècle, le représentant des idées politiques les plus hardies qui s’y soient agitées. Il est un admirable patriote. Il a le culte non pas de sa petite, mais de sa grande patrie. Exilé de Florence et réfugié à Avignon, il n’est pas Florentin, mais il est Italien. Comme l’autre exilé florentin, il croit à la mission du peuple élu. Il croit au choix de la nation romaine, dès le temps d’Enée et des Troyens, pour gouverner le monde. Comme Dante, il ne reconnaît qu’un siège de l’empire et de la papauté : le sol sacré de Rome. C’est cette conviction qui fait de lui un partisan de Rienzi. Pourquoi donc l’Italie ne joue-t-elle pas encore son rôle providentiel ? Seules, ses divisions sont cause de sa faiblesse. Que l’union se fasse, et l’Italie redeviendra la reine du monde. Ainsi l’idée de l’unité italienne,