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professeur qui avait de mauvaises relations et du talent, devenait le collègue en Sorbonne du docte Victor Le Clerc, de l’aimable Patin et du spirituel Saint-Marc Girardin.

Ce que fut l’enseignement de Mézières, ses livres, qui sont le résumé de ses leçons, nous l’apprennent[1]. Pour être à l’égard de ces livres tout à fait équitable, la critique doit d’abord les replacer à leur date : dans l’espace d’un demi-siècle, l’étude des littératures étrangères a pu faire des progrès. Mais on était aux temps héroïques, quand Philarète Chasles faisait autorité. Mézières fut, à son heure et sans fracas, un initiateur. Personne n’avait encore mené sur les grandes littératures européennes une enquête si large, ni surtout si méthodique. Sa triple série d’essais embrassant Shakspeare, ses prédécesseurs, ses contemporains et ses successeurs, a été la première étude d’ensemble sur le théâtre anglais. Il s’en faut qu’elle ait perdu tout intérêt. Rien ne serait plus injuste, en effet, que de limiter la valeur des travaux de Mézières au moment où ils parurent. On peut, aujourd’hui encore, les consulter avec profit, et on n’y manque pas. Ils se recommandent par la clarté, le bon sens, la sûreté des jugemens. Ils contiennent sur les sujets qu’ils traitent l’essentiel, qui n’a pas cessé d’être le vrai. L’histoire littéraire est soumise à une perpétuelle révision, cela va sans dire ; mais elle ne se renouvelle pas aussi complètement que certains érudits voudraient nous le faire croire. On fait sur des points de détail de curieuses découvertes : les grandes lignes ne changent pas. De bons livres, écrits avec soin, en l’absence de tout parti pris, restent de bons livres. Les idées en paraîtraient plus originales, si leur justesse même ne les avait fait passer dans le domaine commun. Mais nous ignorons d’où elles nous viennent et nous sommes ingrats pour ceux à qui nous les devons.

Au moment où Mézières professa ses leçons sur Shakspeare, les romantiques venaient de passer par-là : toutes les notions étaient brouillées. Dans leur haine contre notre art classique, ils avaient aveuglément adopté les opinions les plus fausses et les plus injurieuses des Lessing et des Schlegel, sans s’apercevoir que le système de ces ennemis de la France était tout uniment une machine de guerre contre le théâtre français. Ils emboîtaient le pas à la critique allemande. D’ailleurs,

  1. Les ouvrages d’Alfred Mézières sont édités à la librairie Hachette ; les Récits de l’invasion, à la librairie Perrin.