Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tchernavoda, sur le bas Danube, à Constantsa, sur la Mer-Noire (cette ligne est actuellement roumaine et rattachée à Bucarest par un admirable pont de construction française), puis, sur 226 kilomètres, la voie de Koutchouk à Varna. Cette dernière, remarquons-le, n’est qu’une sorte d’embouchure artificielle du Danube, dont elle emprunte l’ancienne vallée, au Sud de la Dobrudja ; elle date de l’époque où le commerce occidental n’abordait les Balkans que par leur façade maritime, c’est-à-dire par la Turquie.

Cette situation est seulement temporaire : d’une part, en effet, les nouvelles principautés balkaniques s’efforceront à I’envi d’améliorer leurs productions et d’étendre leurs relations extérieures ; de l’autre, des Puissances européennes, récemment nées à la vie diplomatique, chercheront de ce côté de l’Europe à développer leurs transactions. Pendant cette même période, la technique des chemins de fer s’améliore rapidement ; les ingénieurs ne sont plus arrêtés par le passage des larges vallées, depuis qu’ils construisent de grands ponts en fer ; les perforatrices qui travaillèrent à Suez ont fourni l’idée première de machines adaptées ensuite au percement des tunnels ; on est loin encore de l’outillage industriel formidable qui permettra aux Américains de vaincre la nature à Panama, mais déjà l’établissement de voies ferrées en pays de relief très varié, comme la péninsule des Balkans, n’est plus une audace téméraire. Or, dans les jeunes principautés balkaniques, une renaissance s’annonce, vite après la libération ; elle est intellectuelle et économique ; des universitaires des pays sud-slaves, alors divisés entre l’Autriche et la Turquie, recueillent des poésies populaires, rédigent des grammaires, célèbrent l’unité d’une race dont la Serbie autonome présage déjà l’avenir indépendant. Peu à peu, devant ces innovations, les propriétaires turcs se retirent ; on dirait qu’ils se resserrent d’instinct sur les domaines laissés au règne du Croissant ; par une révolution qu’il vaudrait la peine d’étudier de près, de nouveaux maîtres du sol apparaissent, indigènes chrétiens, qui reprennent ainsi, champ par champ, la terre jadis arrachée à leurs ancêtres ; du régime des latifundia, les pays balkaniques passent insensiblement à celui de la petite propriété ; il s’y forme une classe de paysans, désireux de progrès du jour où le bénéfice de leur travail leur est assuré ; de tous côtés, des valeurs nouvelles