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qu’elle y mettait de sa poche. Elle empruntait, empruntait sous mille formes : actions, obligations, chèques, doublemens, triplemens de capital. Elle trouvait des escompteurs inlassables dans les banques anglaises qui, de 1890 à 1900, s’étaient laissé enjôler comme leur gouvernement et qu’après 1900, les émissaires de Berlin et de Francfort continuaient de garder au service de l’ennemi : l’Angleterre de 1915 s’aperçoit que la finance allemande avait introduit ses délégués jusque dans le Conseil privé de la Couronne et que, depuis dix ans, un sir Ernest Cassel, à peine naturalisé, conseillait Sa Majesté anglaise pour le service du roi de Prusse ! En Amérique, combien de Germano-Américains jouaient le même rôle auprès des rois de l’or, de la viande, du cuivre, des chemins de fer ou du pétrole ! et combien de sociétés financières en France, auprès de Sa Majesté l’Epargne nationale ! Quand, après cette guerre, il faudra apurer nos comptes avec les banques étrangères, on verra combien chez nous se dérobaient au patriotisme de l’argent, qui exigeaient de notre peuple le patriotisme du sang et de l’impôt.

L’usine allemande empruntait. Le monde, fasciné par les victoires scientifiques de 1870-71, ne se lassait pas de lui prêter pour la conquête scientifique du marché mondial. « Les firmes allemandes, — dit M. Cambon (p. 52), — tout en distribuant de gros dividendes, mettent chaque année en réserves et en amortissemens des sommes énormes ; mais ces réserves et ces amortissemens sont en grande partie immédiatement réemployés en matériel ou en agrandissemens. L’industriel allemand est un joueur opiniâtre qui, lorsqu’il gagne, remet perpétuellement au tapis et qui, même quand il ne gagne pas, ne s’abstient que s’il n’a plus d’argent : que de fois j’ai entendu dire qu’on doit profiter des années de crise pour renouveler son matériel ! »

Cette spéculation effrénée reposait sur le plus colossal crédit qu’industrie eût jamais rencontré dans son pays et dans l’univers : tant que durait l’admiration reconnaissante, mais un peu naïve, des marchés voisins, où l’usine allemande jetait ses produits à bas prix, tant que durait aussi le prestige et, pour parler franc, la crainte de l’invincible Empereur, l’argent ne manquait jamais à ces tenaces joueurs d’outre-Rhin.Mais, à partir de 1905, le discours de Tanger, qui faisait tant de bruit