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Londres, aux temps où Londres n’était encore que le port de son Île et où le Continent avait son entrepôt commercial à quai, et non pas en mer !… La fortune de l’Angleterre n’avait commencé qu’à la décadence dernière de ces ports continentaux, quand un stathouder de Hollande, allant s’installer à Londres, avait tiré derrière lui la porte d’Amsterdam… Au XXe siècle, la marine allemande reprenait pied à Rotterdam et à Anvers. Elle s’y installait et s’y conduisait parfois comme en terre conquise. Mais, quelque complaisance que Belges et Hollandais missent dans leur hospitalité, ni Anvers ni Rotterdam n’étaient encore de ces ports allemands où tout fût organisé, discipliné pour le service de l’Empire et pour la lutte contre l’Angleterre…

Après les vingt-cinq ans du « nouveau cours » (1890-1915), les pangermanistes d’aujourd’hui ont raison de crier à leur Empereur que, pour réaliser le rêve mondial, il faut à tout prix conserver Anvers et n’offrir à la Hollande que le choix entre la mainbour impériale ou le sort de la Belgique. Sans la possession d’Anvers, sans la jouissance exclusive de Rotterdam, c’est la ruine de l’Allemagne qui est sur l’eau, et non pas son avenir ; mais avec Anvers et Rotterdam germaniques, un Guillaume II de Hohenzollern pourrait défaire ce que fit jadis un Guillaume III d’Orange et ramener sur les quais du Continent le commerce du monde que le stathouder-roi fit passer avec lui dans l’Île.

Depuis 1910 déjà, l’alternative se posait ainsi devant les conseillers du Kaiser, et la défiance des Belges était éveillée par les rumeurs de ces conciliabules. Mais, jusqu’en août 1914, Guillaume II, pensant que ces rumeurs n’avaient pas encore franchi le Détroit, espérait que l’Angleterre lui laisserait violer la neutralité belge, s’installer « temporairement » en face de la côte anglaise et même prendre Calais et Boulogne !… Ce Hohenzollern se vante volontiers de son origine souabe, et le Souabe a toujours eu parmi les tribus allemandes une réputation de grosse malice : Der lustige Schwabe est le titre du recueil des bourdes les plus populaires en Allemagne. Mais cette fois » le loustic souabe dépassait un peu la mesure… Et pourtant, c’est l’exemple de cette politique navale qu’il faut avoir devant les yeux pour juger tout le reste de la Weltpolitik : pas plus en agriculture, en industrie ou en commerce qu’en marine, l’ère de Guillaume II n’a été une réussite, quoi qu’en puissent penser ceux qui s’en tiennent aux apparences des chiffres.