Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impossible de savoir ; toujours est-il que la liste des exigences du gouvernement japonais, sûr de sa force, était telle que Yuen ne pouvait l’accepter dans son entier sans suicide. Aussi, une indiscrétion révéla-t-elle bientôt, en janvier 1915, la teneur complète des prétentions japonaises et, tout de suite, cette révélation produisit l’effet attendu sur tous les étrangers, particuliers et personnages officiels qui ont à défendre des intérêts en Chine.

Ce que voulait le Japon était, en effet, bien propre à jeter chez eux l’inquiétude. Il réclamait une telle place au banquet que les autres convives s’imaginèrent que la leur allait être réduite à rien ; même, on voyait déjà ce redoutable concurrent s’installer en maître. Il demandait des concessions de mines et de chemins de fer, au Nord, au Centre, au Sud, des droits divers sur différens points du pays qui pouvaient lui permettre de rivaliser victorieusement, au point de vue économique, avec les autres étrangers les mieux pourvus[1] ; en outre, il réclamait, dans le cinquième groupe de sa liste, l’octroi de conseillers à lui, à côté du gouvernement central, à la direction des provinces, à celle de la police générale et locale, conseillers qui eussent été de véritables agens administratifs. C’était une sorte de protectorat, sans le nom, qui eût été institué ainsi sur cette immense population ; c’était, en fait, la mainmise par le Japon sur la direction de cette énorme force en puissance qu’est la Chine d’aujourd’hui.

Les négociateurs japonais et le rusé Chinois n’avaient-ils pas introduit et discuté ce groupe dans le double dessein d’avoir un objet de marchandage afin de faire passer le reste et de permettre au dictateur d’avoir l’air, aux yeux des Puissances et du peuple, de sauver la situation en obtenant le retrait de ces demandes exorbitantes ? Ces hommes de même race et de même finesse asiatique ne s’entendaient-ils pas au fond sur le terrain du principe commun : « L’Asie aux Asiatiques ? »

Pour qui connaît la subtilité d’esprit des Extrême-Orientaux dans les négociations, rien n’est moins impossible, et il faudrait, pour être complètement édifié, avoir pu voir le dessous des cartes, tenues par les mains si souples qui savent les faire

  1. Cf. Revue des Deux Mondes du 1er juin 1915 et Revue politique et parlementaire du 10 août suivant, où nous avons donné le détail de ces revendications et de leur résultat.