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vraiment irrécusable pour tout le séjour du Paléologue à Paris. » Suivant cette source, le Chambellan (Tambellanus) (c’est sous ce nom que le Religieux de Saint-Denys désigne Tamerlan) avait écrit au prince gouverneur de Constantinople[1] de rappeler l’empereur son oncle, promettant de rendre à l’empire byzantin tout ce que l’impie Bajazet lui avait enlevé, et cette nouvelle, avec le récit très détaillé de la victoire de l’armée tartare, avait été apportée à Manuel à Paris vers la Toussaint de l’an 1402 (donc presque exactement trois mois après la bataille d’Ancyre), par des chrétiens demeurés esclaves chez les Turks depuis le désastre de Nicopolis, entre autres un comte hongrois, un bâtard de feu le comte de Savoie, et plusieurs Français, que le dit « Chambellan » avait délivrés des fers de Bajazet après son triomphe. Ces prisonniers libérés, porteurs de si grandes nouvelles, furent mandés au conseil du roi alors que celui-ci était dans un de ses bons jours. Après avoir prêté serment solennel de ne dire que la vérité, ils firent, dans les plus minutieux détails, cet étonnant récit qui répandit la joie universelle en apprenant à tous la ruine irrémédiable du plus redoutable ennemi du nom chrétien.

Le Religieux de Saint-Denys ajoute que le roi de France, avec la reine, les princes du sang et toute la Cour entourèrent l’empereur tout joyeux, qui ne voulait pas perdre une heure pour retourner dans sa capitale délivrée de cet affreux et si long cauchemar. Déjà le mardi après l’octave de la Saint-Martin d’hiver de cette année 1402, c’est-à-dire dans la seconde quinzaine de novembre, Manuel quitta Paris. Le roi Charles, toujours généreux, prodigua à son hôte les plus magnifiques présens de vaisselle d’or, d’argent et de pierreries avec les sommes les plus considérables en numéraire. Il appliqua la même générosité à toute la suite de l’empereur, jusqu’au dernier valet. Chacun des Grecs fut comblé d’or, de pierres précieuses, de vêtemens de soie, de vases d’apparat. Ce sont les propres termes du chroniqueur. Et, bien que l’empereur, depuis près de deux ans, eût vécu avec les siens entièrement à sa charge, grâce à la générosité la plus royalement exercée, Charles continua à lui

  1. C’est-à-dire à Jean Paléologue, fils d’Andronic, auquel l’empereur Manuel, son oncle, avait, on l’a vu, au moment de partir pour l’Occident, confié la garde de sa capitale.