Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout le restant du jour, Charles et Manuel assistèrent ensemble très dévotement à toutes ces longues et superbes fonctions, à tous les offices. Nous savons par le Religieux de Saint-Denys, spectateur probable de ces scènes curieuses, que ceci fit murmurer beaucoup d’intolérans à Paris. « Beaucoup d’hommes sages et instruits, dit-il, furent scandalisés et indignés par ce spectacle, affirmant qu’il était impie pour des Français de suivre les offices d’accord avec les Grecs schismatiques, séparés de l’Eglise romaine, de voir un roi de France faire publiquement des actes de religion en la compagnie d’un schismatique. D’autres, au contraire, en étaient édifiés et approuvaient le roi de cette tolérance pour un prince, son hôte, donnant pour excuse qu’il agissait de la sorte pour s’efforcer de ramener celui-ci dans la vraie religion et lui préparer la voie pour rentrer dans la communion de l’Eglise romaine. »

« Mais le Religieux de Saint-Denys et ceux qui pensaient comme lui, dit M. Berger de Xivrey, ne connaissaient pas ce qu’il y avait d’inébranlable dans les convictions religieuses du prince grec. » Je cite tout ce passage de cet auteur : « On ne saurait, poursuit-il, donner une preuve plus frappante de ces dispositions de l’empereur que celle qui nous est fournie par l’écrivain Léon Allatius. Cela se passa à l’occasion d’un petit ouvrage que présenta à Manuel, durant son séjour à Paris, un théologien, docteur en Sorbonne, qui habitait un des faubourgs de la capitale. Le sujet de cet ouvrage était l’un des plus goûtés à cette époque : une dissertation sur la double Procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils, en faveur de laquelle argumentait le savant parisien, conformément à l’article du symbole : Qui ex Paire Filioque procedit, article reçu dans l’Eglise des Gaules dès une époque antérieure au concile de Gentilly, près Paris, tenu à la Noël de l’an 750[1]. »

Manuel, pendant ses longs loisirs de ce si long séjour à Paris, où il ne se lassait pas d’attendre un secours que son hôte ne se lassait pas de lui promettre, s’occupa à composer une réfutation du livre du docte Parisien, réfutation aussi longue que ce livre était court, et qu’il divisa en plus de cent cinquante-sept chapitres. Cet ouvrage est encore inédit. Le basileus y attaque la

  1. Les envoyés des Grecs y reprochèrent déjà aux évêques des Gaules d’avoir ajouté au symbole de Constantinople les mots Filioque, admis depuis longtemps en Espagne.