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maintenant rétabli. Quoique résolu à ne pas le prendre pour directeur, ni même pour conseiller de sa politique, l’Empereur estima que l’occasion était propice pour se réconcilier avec lui et pour donner à l’opinion publique cette satisfaction. Il réparerait ainsi, par une démonstration flatteuse auprès du père, la cruelle déconvenue infligée au fils. Le 22 janvier, il écrivait à l’ex-chancelier une lettre en laquelle il le félicitait chaleureusement de sa guérison.

Il l’invitait en même temps à venir passer quelques jours au palais impérial où il serait heureux de le recevoir. À cette lettre il joignait une caisse de vieux vins et chargeait l’un de ses officiers d’ordonnance, le comte de Moltke, de porter le tout à son ancien ministre. La démarche était aussi flatteuse qu’inattendue. Personne n’avait pu la prévoir, et le comte Herbert lui-même l’ignorait lorsque, dans la matinée du même jour, mécontent et déçu, il était reparti pour Schoenhausen.

Elle fut accueillie par Bismarck avec une émotion qu’il ne chercha pas à dissimuler. Il combla d’égards le messager de l’Empereur, le garda à dîner, et lui remit une lettre de remerciemens où il promettait d’aller sous peu exprimer de vive voix sa gratitude. Un diplomate, le comte Balny d’Avricourt, qui, quelques jours avant, lui avait fait une visite, laisse entendre que cette promesse dut lui coûter, soit que, presque octogénaire il eût conscience de son affaissement physique et moral, conséquence de l’âge et de sa longue oisiveté, et redoutât de se laisser voir de trop près à Berlin, soit qu’il ne fût pas convaincu de la sincérité des sentimens auxquels semblait avoir obéi l’Empereur en faisant vers lui les premiers pas. Malgré les apparences contraires, Bismarck restait défiant. Peut-être se rendait-il compte qu’il n’y avait plus place pour lui dans le gouvernement. Le jeune Empereur avait pris en mains les rênes de l’Etat. Il gouvernait effectivement et n’eût pas toléré qu’aucun de ses sujets, quelque illustre qu’il fût, tentât de lui imposer ses vues personnelles, invoquât-il son expérience et l’idée qu’il se faisait de son infaillibilité. Aussi Bismarck mandait-il à ses amis de rester calmes et de ne pas attacher trop d’importance à l’événement. « Depuis que je suis parti, on n’a fait que des sottises ; je ne suis plus de force à les réparer. »

Parmi ces sottises, il comprenait la maladresse de la diplomatie impériale, qui avait laissé se nouer l’alliance franco-russe, de laquelle il avait déclaré si souvent qu’il ne la