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nuages. D’ailleurs, ils semblent renoncer à la métaphysique. Ils la remplacent par la psycho-physique, une science exacte, et qui fournit des chiffres, des tableaux, des courbes, et qui ne donne rien du tout. Ne confondons point l’art des idées générales, — celles-ci, pour ainsi parler, les fleurs des petits faits qui ont germé, qui s’épanouissent, — et la fabrication des systèmes : les systèmes, dans la métaphysique allemande, sont dédaigneux de toute réalité.

M. Bergson, au chapitre de « la philosophie, » dédaigne, lui, les systèmes. Il loue Maine de Biran, lequel « a conçu l’idée d’une métaphysique qui s’élèverait de plus en plus haut, vers l’esprit en général, à mesure que la conscience descendrait plus bas, dans les profondeurs de la vie intérieure : » et Maine de Biran développe son idée « sans s’amuser à des jeux dialectiques, sans bâtir un système. » Nos philosophes, dit M. Bergson, ont soin de vérifier qu’ils ne rêvent pas ou ne se livrent pas « à une manipulation de concepts abstraits. » Notre philosophie « serre de près les contours de la réalité ; » par-là même, « elle répugne le plus souvent à prendre la forme d’un système. » Elle refuse le dogmatisme à outrance et le criticisme radical, Hegel et Kant. Elle ne renonce pas à « unifier le réel, » si tel est le but de la philosophie. Mais elle ne prétend pas faire entrer, de gré ou de force, « la totalité des choses » dans une idée. « Une idée est un élément de notre intelligence, et notre intelligence est un élément de la réalité : comment donc une idée, qui n’est qu’une partie d’une partie, embrasserait-elle le Tout ?… La pensée humaine, au lieu de rétrécir la réalité à la dimension d’une de ses idées, devra se dilater elle-même au point de coïncider avec une portion de plus en plus vaste de la réalité… » On reconnaît ici les principes d’une philosophie qui est particulièrement celle de M. Bergson. Mais aussi la philosophie de M. Bergson continue cette philosophie française dont les caractères sont bien ceux qu’il a discernés. Et la science française a les mêmes caractères : elle redoute les systèmes autant qu’elle méprise, entre les petits faits, ceux qui ne sont point des germes et qui sont de la poussière ; les idées qu’elle favorise, — et qu’elle n’écartèle pas et dont elle aime le bel éploiement, — naissent de la réalité que l’esprit féconde.


Les deux tomes de La Science française ont un vif attrait. Ils nous mènent partout, dans tous les cantons de la pensée, trop vite ; et ils nous procurent les meilleurs guides.

Au surplus, dit le préfacier, l’ouvrage est imparfait : le temps était