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fourriers qu’on a envoyés reconnaître le cantonnement à Loo. Le dégel se précipite ; la neige fond avec une rapidité déconcertante. « Pendant une heure et demie, écrit un officier, nous patinons dans la boue, sur la route de Linde à Pollinchove, attendant le signal de nous mettre en route. Chacun grignote un morceau de pain. Jean Gouin sort les douceurs qu’on lui a glissées dans son sac avant de partir. » Nos fourriers reviennent. Il y a déjà de la troupe à Loo : la ville est trop petite pour nous loger tous. On laissera donc une partie de la brigade (2e régiment) à Pollinchove, tandis que le 1er régiment poussera jusqu’à Loo, à 11 kilomètres de Dixmude. Il y arrive vers deux heures de l’après-midi. Mais presque tous les bâtimens, couvens, écoles, sont déjà réquisitionnés ; à peine s’il reste assez de lits pour l’état-major et les officiers supérieurs[1]. Un bataillon (le 3e du 1er régiment) campera même dans l’église, sur la paille, avec la moitié de ses cadres ; les fonts baptismaux serviront d’infirmerie. « Notre couchage, à nous autres médecins, écrit le docteur L. G…, est dans la tribune, près du buffet d’orgues. Le vent, glacial, passe par les vitraux cassés. Mais la fatigue l’emporte et nous nous endormons à pleins poings. »

Toute la nuit pourtant, le canon tonne. On était fait à cette chanson. Au matin, nos hommes rendossent le sac. Ils s’attendent à partir d’une minute à l’autre pour le front. Or, il y a maldonne, paraît-il. « Sac à terre ! » V… s’est trompé, ou l’ennemi s’est ravisé, et la brigade reste provisoirement sur place.

À parler franc, personne ne s’en plaint. Tout au plus la brigade eût-elle souhaité qu’on lui attribuât un cantonnement moins démuni. Par bonheur, les marins sont ingénieux. Le bataillon logé dans l’église n’a ni âtres, ni fourneaux : quelques briques posées de champ devant le portail, et voilà l’affaire. Il ne bruine plus ; le pavé miroite. Verglas. Mais tout vaut mieux que la boue, et la bonne odeur qui monte des cuisines en plein vent achève de ragaillardir nos clampins. Seul, à Pollinchove,

  1. « Il n’y a pas de lits pour tous les officiers ; mais le capitaine et moi avons trouvé une petite chambre-bureau où la nuit on n’est pas mal sur la paille. » (Journal de l’enseigne C. P…) « Nous vivons (trois officiers et notre cuisinier) dans un salon démeublé, occupé le jour par nos fourriers, » écrit de son côté (lettre du 29 novembre) l’enseigne de Cornulier. Mais, ajoute-t-il, le 2 décembre, « comme nous avons du moins un toit, des vitres (luxe inconnu, quand on approche des régions bombardées), et de la paille, nous n’avons à souffrir physiquement de rien. »