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de partout, comme une faveur, l’honneur de servir à la brigade ; les officiers de l’active sont prêts à sacrifier toutes leurs chances d’avancement à la mer pour sortir de l’attente où ils se rongent, prendre leur part de danger et de gloire sur l’immense ligne de feu qui court de Nieuport aux avancées d’Altkirch. « Il ne faut pas croire que je sois exceptionnel en ayant demandé la grande faveur d’aller au front, écrit l’un d’eux (le commandant Geynet). Tous les officiers de marine y sont sur leur demande. Nos deux adjudans-majors sont deux vieux retraités ayant dépassé l’âge et ayant demandée servir, à condition d’aller sur le front. » Et, quand ils y sont d’aventure, rien ne les en ferait « démarrer. » Les officiers du premier « jeu, » qui ont été évacués pour blessures légères ou épuisement, à peine rétablis, sollicitent, réclament, « font les cent coups » pour retourner à la brigade. « On se languit d’elle aussitôt qu’on l’a quittée, » écrit le lieutenant de vaisseau Ferry, qui, grièvement blessé à la main, restera quatre jours avant d’accepter de se faire soigner dans une ambulance de l’arrière et reviendra, encore mal guéri, reprendre sa place d’adjudant-major à côté du commandant de Maupeou. Dixmude, sans doute, les a rendus difficiles. Tous les risques paraissent fades, même ceux de la vie maritime, près des émotions d’une telle vie. Mais, plus que de leur inaction momentanée, ils souffrent du mal de l’absence et d’avoir perdu celle qui a pris tout leur cœur ; ils l’appellent, ils l’invoquent : « O ma chère brigade ! » du ton dont Harpagon s’adressait à sa cassette envolée. L’armée, a-t-on dit, est une grande famille : la brigade, c’est mieux encore, et ces hommes en parlent avec des tendresses d’amoureux.

Les lettres de l’enseigne Boissat-Mazerat constatent, à cette même date du 18 novembre, l’excellent esprit de camaraderie qui règne chez les officiers : on fait aux nouveaux venus un aussi bon accueil « que le permettent et le lieu et les circonstances. » Vers le soir, la neige recommence à tomber. Il gèle. Froid intense. Rien pour le combattre qu’un peu de paille. Les Sénégalais sont particulièrement éprouvés. Mais « Jean Gouin » ne se plaint pas trop. Il « ne connaissait plus le goût du tabac, » et deux marchands belges ont eu l’à-propos de débarquer à Hoogstaede dans l’après-midi avec un plein chargement de scaferlati : en un clin d’œil, leurs sacs sont délestés. Bourrer une pipe, rouler une chique, quelle joie ! Et puis tous les esta-