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eux-mêmes ont disparu. Dans la tourmente sociale des Ve et VIe siècles, à la suite du déclin des villes, d’une organisation économique fondée sur le sol, les artisans ne se recrutent plus que parmi les censitaires ou les serfs. Il faut attendre le XIIIe siècle pour voir reparaître la corporation industrielle. Ce régime rétabli, son histoire est beaucoup moins l’évolution de la contrainte vers la liberté que de la liberté vers la contrainte. Jamais la réglementation n’a été plus oppressive, plus étroite qu’à la veille de sa chute. — Pareillement, sur la foi de Marx, nous avions cru que le capitalisme était une création des temps modernes. Mais une étude plus approfondie des sociétés anciennes nous a montré le rôle qu’y jouaient la banque, le prêt à intérêt, le numéraire. De grands empires maritimes, comme Tyr et Carthage, n’ont été qu’une oligarchie de manieurs d’argent. L’Europe des invasions et du séniorat avait vu tomber ces institutions. Dès le XIIIe siècle, le réveil de l’industrie, le progrès des échanges, l’exploitation des mines, puis, au XVIe, les découvertes maritimes restaurent le capitalisme. Voilà moins un stade jusqu’alors ignoré de l’évolution qu’un retour, sous des formes nouvelles, à d’anciens usages. L’accumulation de l’argent n’est pas un fait spécial à une société ou à une époque. Il se produira toujours, et naturellement, dans tous les âges où la libre production, le libre travail, la libre entreprise ouvriront à l’activité humaine des champs de conquête presque illimités.

Il est à peine besoin de remarquer que ces transformations, progressives ou régressives, sont la loi même des institutions politiques. Aucun régime, si parfait qu’il semble, n’est durable ; aucun, qui, disparu de la scène du monde, n’ait quelque certitude d’y revenir. Nos petits-neveux reverront peut-être cet absolutisme contre lequel la France a fait tant de révolutions. Mais le même fait s’observe dans le domaine intellectuel. L’humanité n’avance pas plus en ligne droite dans ses investigations rationnelles que dans ses expériences politiques. Une philosophie nait, se propage, décline ; une autre la remplace. Attendez. Celle-ci disparait à son tour, et l’esprit semble revenir à son point de départ. Il épuise le contenu d’une croyance ou d’une doctrine, pour se rejeter vers une doctrine ou une croyance opposée. Un siècle de raisonnement et de critique succède à une ère de mysticisme, pour ramener bientôt la foi au mystère. L’hellénisme avait connu ces âges d’esprit métaphysique et