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philosophie de l’histoire universelle est l’histoire universelle. » Il ne nous suffit pas de penser l’histoire pour la créer. Et c’est la première critique que nous puissions faire de ce mécanisme historique, que, rattaché lui-même à une explication unitaire du monde, il est à la fois en retard sur la science générale et contraire aux méthodes vraies de l’étude des faits humains. Mais il faut aller plus loin. Si nous analysons cette philosophie, nous voyons qu’elle repose sur la notion d’une loi simple, génératrice d’un développement continu et nécessaire. Dans quelle mesure l’expérience admet-elle ces conceptions ?

L’histoire est-elle un développement ? Oui, si, par ce mot, nous entendons une série de momens qui se succèdent les uns aux autres. Et nous concevons encore que ces momens, émergeant d’un même fond, qui est l’humanité, comme les vagues soulevées sur une même masse qui est la mer, ne soient ni isolés, ni séparables les uns des autres. Mais l’histoire obéit-elle à un ressort unique qui déclenche tout le mouvement ? Une seule loi préside-t-elle à son évolution ? Et quelle sera cette loi ?

Un tel principe d’unité existerait-il, nous ne croyons pas d’abord que l’état de nos connaissances permette de le formuler. Que savons-nous du passé ? Beaucoup, assurément. Que de lacunes pourtant dans cet ensemble ! L’histoire ne prend pas l’humanité à ses origines ; elle ne la rencontre qu’à un stade déjà avancé de sa marche. De cette nébuleuse primitive d’où sont sorties les races, elle ignore à peu près tout, et jusqu’à sa durée. Quelques vestiges témoignent de ces milliers d’années où nos ancêtres ont vécu obscurément, sans conscience, sans idéal, comme écrasés sous le poids d’une condamnation originelle. Puis, dans les âges historiques eux-mêmes, quelle part d’incertitudes ! Nous venons seulement d’exhumer la civilisation de la Chaldée ou de l’Egypte. Sur le passé de la Chine, nous n’avons que des lueurs. Sans doute, l’antiquité classique nous est mieux connue, comme aussi la genèse des peuples européens. Leur histoire politique est à peu près définitive ; celle de leur vie économique ou morale commence à peine. En tout cas, il nous reste toujours cette autre province, l’histoire comparée, à parcourir. En réalité, l’histoire se fait, elle n’est pas faite. Elle fouille, recherche, découvre dans les archives comme dans le sol, révise nos jugemens, ajoute à nos