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de leur vitalité. Nous savons qu’elles gardent une force contre la force, celle qui monte des profondeurs de leur sol comme des cendres de leur passé. Les nations ne meurent pas, quand, malgré l’oppression, le pillage, les déportations en masse et les massacres collectifs, une chose leur reste : leur âme.

L’Allemagne ignore-t-elle ces faits ? Ses historiens croient-ils qu’il n’est pas moins aisé de tuer un peuple que de l’empêcher de naître ? Que les temps sont venus d’une organisation unitaire et méthodique de l’humanité ? — Et, en effet, cette organisation meilleure, nous la croyons possible, au moins désirable, dans une coopération plus étroite des peuples, dans un équilibre plus stable de leurs intérêts et de leurs droits. Est-ce bien le sort que l’Allemagne réserve à ceux que la victoire mettrait entre ses mains ? L’humanité, en chiourme, travaillant, vivant aux ordres et au profit d’une caste privilégiée, voilà un bel avenir ! Notre planète ne serait plus qu’une fourmilière immense qui ferait toujours la même tâche, sans horizon, sans conscience, sans idéal, et, s’il est vrai que le progrès intellectuel n’avance que par la diversité des peuples, comme le progrès économique par la libre concurrence des individus, sans progrès. C’est alors que l’Allemagne aurait donné la paix au monde, mais la seule que rêve la force et que le monde ne puisse subir : la paix dans la mort.


III

Ces déformations historiques ne sont pas dues uniquement au préjugé national. Elles ont encore leur genèse dans un système. La théorie politique se rattache à une théorie spéculative. A l’origine de ces doctrines de proie, que trouvons-nous, en effet ? le mécanisme. L’homme conditionné par la nature vivante, la nature vivante par la nature inanimée, une même force, une même loi d’évolution entraînant le monde, la matière comme l’esprit, l’individu comme les peuples, l’histoire devenue l’application particulière d’une explication universelle, voilà bien le rêve qui a séduit tant d’esprits avides de retrouver, dans l’unité de la pensée et l’unité de l’organisation, l’unité de l’univers. Nous reconnaissons « la pure essence » du génie allemand. Par-là, si cette philosophie de l’histoire est une menace pour la paix, peut-on se demander si elle est sans danger pour