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hésité, elles hésitent encore, elles persistent dans la neutralité : en attendant, les événemens se précipitent. M. Bratiano cache ses incertitudes sous un silence d’où il est, malgré tout, obligé de sortir quelquefois. Il parle alors en termes qu’il s’efforce de rendre aussi sibyllins que possible et il y réussit. C’est devant la majorité parlementaire dont il est sûr qu’il aime à s’expliquer à huis clos. « Je répudie, dit-il fièrement, toute politique qui exige des bénéfices sans prévoir des sacrifices, mais je ne veux pas non plus, ajoute-t-il prudemment, faire des sacrifices sans probabilité de succès. » Toute l’équivoque est dans ce mot de probabilité ; il n’en est pas de plus élastique, le calcul des probabilités n’ayant pas de certitude absolue en politique ; la peur en tire tout ce qu’elle veut. La véritable pensée de M. Bratiano est sans doute dans ses dernières paroles, où il dit que la guerre ne se décidera pas dans les Balkans, même si les détroits étaient pris par les Allemands. Son avis, sur ce point, est aussi le nôtre, mais il n’en est pas moins vrai que les échecs qui se produisent dans les Balkans rendent ailleurs la lutte plus difficile et plus longue. Si M. Bratiano attend la décision de la guerre hors des Balkans avant de prendre parti lui-même, cette conduite, quoi qu’il en dise, ressemble beaucoup à attendre des bénéfices sans avoir participé aux sacrifices. On veut tout avoir sans rien hasarder, sans rien risquer, c’est la mode balkanique, et, pour mieux justifier son abstention, on exagère les hasards et les risques. Chaque pays est libre de choisir sa politique, mais nous ne voudrions pas de celle-là pour la France. Au surplus, ce n’est pas celle qu’elle a suivie lorsqu’elle est partie pour Salonique.

Quelques personnes lui reprochent son intervention, et nous n’avons pas dissimulé ce qu’il y avait de sérieux dans les raisons qu’elles donnent. Ces raisons ont été invoquées ailleurs qu’en France et y ont produit assez d’effet pour que, après notre débarquement à Salonique, nous y soyons restés seuls, ou peu s’en faut, pendant quelques jours. Pourquoi ne pas dire toute la vérité? L’Angleterre a éprouvé des hésitations. Sans doute on trouverait dès ce moment chez ses ministres quelques affirmations énergiques dans le sens de l’action; les hommes d’État anglais aiment à balancer longtemps une idée entre ses deux pôles avant de se décider à l’adopter ou à la rejeter, et il n’est pas rare qu’ils enferment le pour et le contre, le oui et le non, dans une même phrase, ce qui rend leur vraie pensée difficilement saisissable. Cependant, il y a quelques jours, lord Lansdowne a prononcé un discours dont le sens n’était que trop clair ; il a opéré sur