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JEUNE FILLE.

divine, celte hardiesse pleine d’audace et de candeur, cette naïveté, cette curiosité, cette force et cette innocence? N’aurai-je pas, malgré moi, brisé votre élan si beau? — Non, non! En ce moment, vous me voyez faible et un peu lasse, raisonnable et vieillie par cette subite et nécessaire raison... La biche blessée s’est transformée, pour un moment, comme dans le conte. Mais soyez tranquille, je vivrai, je veux vivre! Je veux encore toute la vie... Avec autant d’ardeur, je lui tends les bras. Avec autant de véhémence, je veux le bon- heur, l’amour, la joie! Non! je ne serai pas plus vieille, ni plus prudente, ni plus sage. Si je souffre encore, qu’importe! Souf- frir, c’est vivre et palpiter; souffrir, c’est étendre ses ailes. Et c’est pourquoi, loin de vous en vouloir de vous avoir aimé, je vous remercie des heures d’émoi, d’éveil et de métamorphose, de révélation mystérieuse, de tendre détresse, et même des heures de douleur que je vous dois... — Ma chérie I Que je me sens jaloux de celui-là que vous allez aimer... Ah! bien longtemps sans vous, je vais être malheureux. — Pourquoi? — Que de regrets 1 Que de remords ! — Des regrets, des remords? Notre histoire est si simple! Toutes les femmes, vous le savez bien, ont en elles, la plus naïve comme la plus folle, un profond, un obscur désir de bonheur et d’éternité. Par un matin d’avril où ce désir hésitait en moi, je vous ai rencontré. Et déjà, comme toutes mes paVeilies, je songeais à l’éterniser, cet instant fugitif et si délicieux, où me sentant naître avec la nature, je vous vis pour la première fois. Dites, où est votre faute? Vous avez reconnu, vous avez compris que je vous disais dans l’instinct de mon cœur : « Venez à moi, cher étranger, car vous êtes fort et je suis faible; aidez-moi, car toute seule je ne le puis, à faire de la minute qui passe un souvenir immortel... » — Ma chérie! Vous qui ne connaissez presque pas l’amour, comment savez-vous parler de lui ? — Et maintenant, qu’importe la fin de l’histoire? Grâce a vous, la minute divine n’est pas retombée au néant... Nous avons créé le souvenir... N’ayons ni regrets, ni remords... — Juliette, Juliette, mon enfant, mon amie, moi je ne me consolerai jamais de n’avoir pas aimé que toi.