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Tout se tient. Au lycée Condorcet, où il avait fait ses études, Paul Hervieu avait eu pour professeur de rhétorique un excellent humaniste, ce même Maxime Gaucher qui devait encore, quelques années plus tard, enseigner les bonnes lettres à Henri Lavedan. Mais le temps n’était plus de la ferveur pour le dix-septième siècle. On répétait le mot de Michelet : « Le grand siècle… c’est le dix-huitième que je veux dire. » C’est là que Paul Hervieu est allé chercher son Credo philosophique et la patrie de son imagination. Si sévères que fussent ses habitudes d’impersonnalité, j’ai toujours cru qu’il avait mis beaucoup de lui-même dans un personnage de l’Énigme, le marquis de Neste, à lui prête son aversion pour toute violence, son horreur pour l’effusion du sang ; et il lui attribue une aimable grand’mère qui « fréquenta jusqu’à l’excès Crébillon le fils et Rousseau, d’Alembert et le jeune chevalier de Parny. » A un autre de ses personnages il fait dire : « Je lis en vous de la même façon que dans ces petits contes entortillés du dix-huitième siècle où la sensation était tout, tandis que le sentiment n’était rien. » Il avait beaucoup lu, lui aussi, ces petits contes entortillés, les galans et les autres. Et combien de fois, à travers les réflexions moroses que lui inspire le spectacle du manège mondain, n’ai-je pas songé à certaine Lettre où Mme Du Deffand décrit sa solitude ennuyée au milieu des caquetages de son salon ? Avec l’esprit qu’il avait, et il en avait beaucoup, du plus naturel et du plus recherché, Paul Hervieu aurait tenu sa place dans les brillantes compagnies de l’autre siècle, de l’autre fin de siècle ; il y aurait montré moins la désinvolture d’un Rivarol, que l’âpreté d’un Chamfort ; et il eût respiré avec délices cette atmosphère de vie élégante et d’incrédulité railleuse, de morale « sans hypocrisie » et d’art précieux.


A l’époque où il fit ses débuts d’écrivain, la littérature, dégoûtée du naturalisme, s’en dégageait et toutefois continuait d’en subir l’influence. Maupassant venait de se révéler ; Anatole France donnait Sylvestre Bonnard et Loti le Mariage de Loti, Henry Becque passait chef d’école ; Jules Lemaître faisait le tour des Contemporains, et Paul Bourget dans ses Essais de psychologie analysait par avance les « états d’âme » de la nouvelle génération. En 1882, Paul Hervieu avait vingt-cinq ans.