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36 REVUE DES DEUX MONDES. — La vérité... je l’ai pressentie ; et enfin je l’ai comprise. — Ohl Juliette ! vais-je vous dire comme les petits garçons, que tout cela n’est pas ma faute? Ce sont pourtant les mots qui montent de mon cœur à mes lèvres. Ce n’est pas ma faute, mon enfant 1 J’avais bien deviné que vous me meniez vers le bonheur et l’amour; j’avais bien compris qu’il fallait vous suivre, vous retrouver, ne pas vous perdre; j’avais bien com- pris, je ne m’étais pas trompé; mais l’erreur qui cause mon remords, mon chagrin, et peut-être aussi le vôtre, fut de croire que mon amour et mon bonheur étaient en vous; vous n’en étiez que la messagère, Juliette aux pieds joyeux; votre voix m’appelait à lui et votre douce main imprudente m’a conduit... — Vers maman. J’ai prononcé ces deux mots tout bas avec une sorte de pudeur secrète. — Juliette! je l’ai aimée sans doute dès que je l’ai vue; mais je n’ai rien redouté d’un sentiment qui me semblait si naturel; comment n’aurais-je pas eu toute de suite delà ten- dresse pour elle que vous chérissiez tant, pour elle qui vous aimait avec une telle grâce, et à laquelle je devais le bonheur de vous voir exister?.,. Nous gravissions lentement cette montée qui mène au rond- point où luit un bassin gardé par les pâles statues. Le lierre et la mousse, enserrant de leur verte gaine les troncs des arbres dépouillés, laissaient des tons verts à ce paysage de décembre. Un grand vent, soulevant les dernières feuilles sèches éparses sur le sol, dévastait les mornes ramures, déshabillait les déesses de pierre, courbait les herbes courtes et frileuses du tapis de gazon; ce vent me mordait le visage, me sautait aux Jambes comme un mauvais chien ; d’une main froide, je raffermis sur mon front ma toque de fourrure. — Robert, ce n’est pas votre faute... — Non. Mais je suis quand même coupable. Je suis inexcu- sable, après tant d’années consacrées à l’amour, de connaître si mal mon cœur. Pendant votre absence, — que, malgré mes supplications, vous prolongiez, — je n’aurais pas dû voir chaque jour, chaque soir, votre mère. Je croyais lui parler de vous ; je croyais me faire aimer de celle qui devait, malgré son âge pareil au mien, devenir bientôt ma mère adoptive, ma grande sœur... Et l’amour est venu pendant ces heures de douce