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perfection des princesses et la princesse Marie jolie, et bien plus encore, quand le Prince a dit que Mme de Zeppelin était la plus belle du bal. Elle a fait une partie de billard avec Elisa. Il était à peine dix heures, la Princesse s’est couchée après avoir un peu chuchoté avec le prince Napoléon sur l’ennui d’Arenenberg, auquel elle commence à s’habituer. Je commence à craindre qu’elle ne soit pas ce qu’il faut au Prince !

Jeudi 5 mai.

… Encore une interruption longue et douloureuse… Vendredi, 22 avril, dernier jour où j’ai écrit, a été rempli pour moi d’émotions de tous les genres. Je partais incertaine encore si je trouverais ma mère et l’âme déchirée d’un doute affreux… La gaîté que je voyais autour de moi me faisait mal, c’était peut-être injuste, mais le rire de la Princesse est si éclatant, si forcé, qu’il me paraît faux à l’oreille. Elisa me disait qu’elle est décidément moqueuse et peu sensible, elle me félicitait de pouvoir me soustraire à tous ces ricanemens, si pénibles dans ma position. Le Prince et elle ne se quittaient pas, il se mettait à ses genoux et faisait près d’elle toutes les singeries d’homme amoureux. Il lui disait mille choses gentilles, qu’elle ne pouvait comprendre, — elle n’a pas assez de cœur, — elles ne lui paraissaient qu’exagérées et risibles. Il disait que « la vie, l’âme, étaient comme une lettre dont tout le monde voit le dehors, l’adresse, l’enveloppe, et qu’une seule personne lit, parce que l’âme ne se fait comprendre qu’à une seule âme ! » Il m’appelait en témoignage de la vérité de ce qu’il disait. Je l’avais bien compris et le sentais. Je pensais avec un sentiment d’amertume que la Princesse ne le comprendra jamais. Elle est coquette, frivole, et lui, mon Dieu, il a toutes les qualités contraires. Comme il méritait mieux !… À neuf heures, je suis montée en voiture avec le prince Jérôme, après avoir reçu les adieux affectueux de toute la maison. Elisa m’a conté que la Princesse s’était récriée sur l’inconvenance que je partisse seule avec son frère. Mme Salvage, d’un air fort moqueur, avait prétendu que j’étais d’un âge à voyager de toutes les manières… Le prince Jérôme a dormi. Il a été du reste fort convenable avec moi, mais son ton brusque, dur et impératif, me choquait à chaque poste. Nous arrivâmes à sept heures du matin à Sigmaringen. Ma pauvre Fanny n’avait pas encore reçu de