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lettre impériale qui le lui fait savoir, le 19 mars, lui confère le titre de duc de Lauenbourg. Loin de lui être agréable, la distinction honorifique dont il est l’objet accroît son ressentiment. Il ne peut la refuser, il est même tenu d’en remercier l’Empereur, mais, en le remerciant, il lui demande la permission de ne porter à l’avenir que le nom et le titre qu’il a toujours portés.

Sa réponse partie, on l’entend murmurer :

— Il verra bien qu’on ne remercie pas un Bismarck de cette façon.

Puis, comme l’Empereur, en lui écrivant, a exprimé, assez hypocritement d’ailleurs, le regret de n’avoir pu le décider à retirer sa démission, il fait insérer, dans la Gazette de l’Allemagne du Nord, une note contestant l’assertion de la lettre impériale et constatant qu’aucune instance n’a été faite auprès de lui pour le retenir.

A dater de ce moment et jusqu’au jour de son départ, il affectera, malgré ses soixante-quinze ans, de se montrer dans les rues de Berlin et dans plusieurs salons, afin de prouver que, contrairement à ce que prétendent les gens de la Cour, il ne se retire pas pour des raisons de santé. Peut-être espère-t-il provoquer en sa faveur une manifestation populaire. Mais il ne s’en produit aucune, et, il peut constater que le peuple ne se soulèvera pas sur son passage pour protester contre sa démission. Il ne lui reste donc plus qu’à se résigner à l’inévitable destin. Mais il n’est pas préparé à subir la mauvaise fortune ; il ne se résigne pas avec le calme et la dignité qui ennobliraient sa retraite. La colère qu’il ne cherche pas à dissimuler s’envenime de la menace de ne pas désarmer. Il ne craint pas de laisser répandre que, pour démontrer combien est odieux et gros d’ingratitude le procédé dont il est victime, il publiera certains papiers qui sont en sa possession. Il en fait même publier un. C’est une lettre de Guillaume Ier en date du 26 juillet 1872, dans laquelle, en lui envoyant un vase d’art à l’occasion de ses noces d’argent, le souverain le prie de l’accepter en souvenir de lui et ajoute : « Il vous redira tout ce que la Prusse vous doit pour l’avoir élevée au pinacle où elle se trouve maintenant. »

Cette publication, qui semble en présager d’autres moins inoffensives, décide l’Empereur à lui faire rappeler par le directeur de son Cabinet civil que les lois en vertu desquelles le comte d’Arnim a été condamné sont encore en vigueur.