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— J’ai cru, disait l’Empereur, qu’il allait me jeter l’encrier à la tête.

Le bruit de cette querelle arrivait jusqu’aux salons d’attente où se trouvaient réunis les dignitaires et les aides de camp de la maison de l’Empereur. Ils voyaient le chancelier sortir furibond de l’audience et recueillaient au passage, tombés de sa bouche convulsée, des mots tels que ceux-ci :

— Il me dit toujours qu’il m’aime. Que m’importe, s’il ne m’écoute pas !

Il ajoutait qu’il ajournerait sa retraite jusqu’au mois de mai, afin qu’elle ne parût pas lui être imposée par le résultat des élections.

— Alors, s’il persiste à ne pas m’écouter, je me retirerai, quoi qu’il fasse pour me retenir. Quand il voudra me rappeler, ce sera trop tard.

Une telle situation, semble-t-il, ne pouvait se prolonger. Cependant l’Empereur usait de patience. Pour mettre cette patience à bout, il fallut un autre incident.

Encore à cette époque, ses relations avec le chancelier et avec les autres ministres étaient réglées par une ordonnance, en date de 1852, à laquelle, depuis cette époque, il n’avait été jamais porté atteinte. Elle stipulait que les rapports officiels des ministres à l’Empereur devaient être soumis préalablement au chancelier et revêtus de son visa, avant d’être envoyés au souverain. Au début de son règne, Guillaume II avait subi cette loi, sans paraître impatient de l’abroger. Brusquement, il exigea, non comme une condescendance accidentelle consentie à son égard, mais comme une prérogative souveraine, que les rapports ministériels lui fussent adressés directement, en dehors même du chancelier. Cette fois, l’atteinte aux droits de celui-ci ne se dissimulait plus. C’était son pouvoir constitutionnel qui était ébranlé. Il le faisait remarquer à l’Empereur, et, comme Sa Majesté ne semblait pas touchée par cette objection, son emportement ne connaissait plus de bornes, et il s’écriait :

— Devant de telles exigences, je ne puis plus gouverner, et j’aime mieux donner ma démission.

L’Empereur ne répond pas, mais son silence est significatif. Il veut dire : « Comme vous voudrez. » Bismarck ne comprend pas et se retire, convaincu que l’Empereur n’osera pas se priver de ses services. Rentré à la chancellerie, il rédige un