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de Corinthe, allumé par Médée lorsqu’elle cherche à se venger de Jason qui l’a abandonnée pour Creuse. A la demande du chancelier, l’ambassadeur lui expliqua le sujet de ces admirables compositions. Tout en les contemplant, Bismarck rappela que, d’après la légende, les deux amans, après ce déchaînement de colère, se sont réconciliés, et il se mit à fredonner :


Et l’on revient toujours
A ses premiers amours.


Puis, après un court silence, il reprit :

— Qui sait s’il n’en sera pas ainsi pour moi ?

Quel aveu et combien inattendu ! Depuis plusieurs semaines, dans le monde officiel, on se chuchotait à l’oreille que les dissentimens de l’Empereur avec son ministre, sur la question ouvrière, avaient dégénéré en débats violens tournant à la brouille. Mais ce n’étaient laque des rumeurs difficiles à contrôler, et voici que le chancelier en révélait l’exactitude en rappelant, dans un refrain d’opéra-comique, qu’entre gens qui se sont aimés, les pires querelles se dénouent souvent par une réconciliation. S’il prévoyait qu’il en serait ainsi pour lui, c’est que la brouille existait ou tout au moins s’annonçait. Après qu’il se fut retiré, l’ambassadeur rappela M. Dumaine.

— Mettez-vous là, lui dit-il, en désignant son bureau. Il faut que j’envoie un rapport à Paris. Mais je vais vous le dicter, car je suis trop ému pour l’écrire moi-même.

Il ne le fut pas moins, lorsque, six jours plus tard, il vit réapparaître le prince de Bismarck et l’entendit lui dire qu’il avait changé d’avis.

— Mon maître est plus engagé que je ne croyais ; il tient à sa conférence, et je pense qu’il faut lui donner cette satisfaction.

— Ce n’était pas votre opinion, mon prince, lorsque vous m’avez fait l’honneur de votre visite, objecta l’ambassadeur.

— C’est vrai, avoua Bismarck. J’ai cédé, ce jour-là, à un mouvement d’irritation. J’étais décidé à me retirer avec éclat après les élections générales du Reichstag. Mais on m’a demandé de patienter encore. Aujourd’hui, je crois plus avantageux que la conférence ait lieu, vu les dispositions de l’Empereur. Votre gouvernement n’a pas encore pris de parti. Rien ne l’empêche donc de se décider dans un sens ou dans un autre. Acceptez