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développement de l’Empire d’Allemagne. » Le kronprinz avait protesté, affirmant que son protégé était un champion du protestantisme le plus ardent et du patriotisme le plus pur. Bismarck n’en était pas moins resté dans les mêmes sentimens et considérait encore comme un ennemi le professeur Geffeken par qui le journal de Frédéric venait d’être publié.

Sous l’empire de son emportement, Bismarck avait fait saisir la Deutsche Rundschau et insérer au Journal officiel un rapport adressé à l’Empereur, dans lequel il cherchait à établir la non-authenticité des papiers en cause. Enfin, poussant la colère à l’extrême, il avait fait emprisonner le docteur Geffeken en le traduisant devant la Haute Cour de Leipzig comme coupable de trahison. Dans son rapport, et pour démontrer que les prétendus Mémoires étaient de pure invention, il ne craignait pas de déclarer qu’en 1870, le kronprinz Frédéric, soupçonné par son père de révéler à la Cour d’Angleterre certains secrets d’Etat, avait été tenu à l’écart des questions les plus intimes de la politique, et qu’en conséquence, il n’avait pu parler de choses qu’il ignorait. Sans respect pour la mémoire de l’empereur défunt, il ajoutait qu’en admettant l’authenticité du document, sa publication constituait un crime contre l’Etat, et que, le coupable n’étant pas là pour en répondre, la responsabilité devait en être imputée à l’exécuteur de sa volonté.

Nous avons la preuve, — c’est Maurice Busch qui nous la donne, — qu’en niant l’authenticité, il jouait une comédie. A cet égard, le récit de son confident est significatif.

— Voici ce que nous allons faire, lui déclare le chancelier. Nous allons commencer par dire que c’est un faux. Si, ensuite, on nous prouve que c’est authentique en nous montrant le manuscrit original, nous changerons de tactique, et nous agirons en conséquence.

Le confident fait alors observer qu’à son avis, l’authenticité n’est pas douteuse.

— Vous avez raison, réplique Bismarck, et, pas plus que vous, je n’en ai douté. Mais cela ne fait rien ; il faut traiter ce papier comme un faux.

Et il en fut ainsi jusqu’au jour où, à la date du 4 janvier 1889, la Cour de Leipzig libéra Gefïeken de l’accusation portée contre lui et prononça son acquittement à l’unanimité, en des conditions telles que l’arrêt qui l’acquittait fut considéré de toutes