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préconçue de Guillaume et à l’inconvenance d’Herbert de Bismarck.

Ce n’est pas seulement le Saint-Père qu’avait offensé le fils du chancelier. Au Quirinal, la Reine elle-même eut à se plaindre de lui. N’avait-il pas poussé l’inconvenance jusqu’à faire publiquement une visite à la femme du premier ministre, Mme Crispi, que la Reine ne recevait pas ?

Le voyage de Rome, le dernier de ceux que fit l’Empereur, en 1888, terminait pour cette année ses excursions à travers les Cours européennes. Nulle part, là où il avait passé, on ne gardait de lui des souvenirs favorables. Physiquement, on l’avait trouvé vulgaire de manières, lourd de buste, le front sans ampleur, « avec ses oreilles bourrées de coton et son bras malade caché sous un dolman de hussard. » Il est dit dans un rapport diplomatique que lui et son favori, Herbert de Bismarck, n’ont pas mieux réussi l’un que l’autre à Vienne et à Rome : « Leur brusquerie hautaine envers les hommes et leur galanterie soldatesque envers les femmes le plus haut placées ont laissé l’impression que l’on avait affaire à des reîtres du Moyen Age. »

Au moment où Guillaume II rentrait à Berlin, un événement d’une autre nature préoccupait l’opinion et faisait l’objet des commentaires les plus passionnés. Au mois de septembre précédent, une gazette allemande, la Deutsche Rundschau, avait publié des fragmens d’un journal tenu par Frédéric III, alors qu’il n’était encore que kronprinz. Présentés comme des extraits de ses mémoires, ces fragmens remontaient à l’année de la guerre avec la France et aux années antérieures. Les dires et les réflexions du prince trahissaient avec évidence ses sentimens hostiles à la politique et à la personne du chancelier. En les lisant, celui-ci était entré en fureur, fureur d’autant plus grande que la publication avait été faite par un homme dont l’honorabilité ne pouvait être contestée, le professeur Geffeken, un des plus chers amis de l’empereur Frédéric, ardemment dévoué à sa mémoire, mais que Bismarck tenait en suspicion.

Cette antipathie remontait à l’année 1870. À cette époque, le kronprinz Frédéric, voulant obtenir un emploi pour le professeur Geffeken, l’avait présenté au chancelier comme un homme « de pensée réfléchie et de grande expérience. » À cette recommandation Bismarck avait répondu en accusant Geffeken d’appartenir « à ce parti de l’Eglise évangélique qui pactisait avec le Centre et les Jésuites et se montrait toujours hostile à tout