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défunt. Ces dispositions, la reine d’Angleterre ne les dissimulait pas. Recevant le général de Winterfeld, envoyé à Windsor pour lui notifier l’avènement de Guillaume II, elle l’écoutait silencieuse et, après l’avoir entendu, lui demandait brusquement :

— Quand partez-vous ? Déconcerté d’abord par cette question, l’ambassadeur ne recouvrait un peu de sang-froid que pour répondre :

— Aujourd’hui même.

Ces incidens démontrent combien était tendue la situation entre Londres et Berlin ; elle allait se prolonger jusqu’au jour où l’empereur d’Allemagne, ayant résolu de se séparer de Bismarck, chercherait par avance des approbateurs parmi les adversaires du chancelier. Mais, à cette heure, il ne songeait pas encore à recourir à cette extrémité. Il en était avec son ministre aux enchantemens de la lune de miel. Il le consultait en toutes choses et suivait aveuglément ses conseils. Comme pour rendre plus éclatante la faveur dont il l’honorait, il continuait à faire d’Herbert de Bismarck son compagnon de tous les instans. Il allait le surprendre chez lui, le recevait dans l’intimité et, sous toutes les formes, il lui prodiguait publiquement les marques les plus flatteuses de sa faveur.

Il était alors au moment d’entreprendre une tournée de visites en Russie, en Autriche et dans les Cours Scandinaves où il avait à cœur de se faire connaître et il était décidé qu’Herbert l’accompagnerait. En ce qui touche la Russie, il avait, dès le 29 juin, annoncé son voyage au grand-duc Wladimir qui traversait Berlin.

— C’est un témoignage de déférence personnelle que je dois au Tsar, lui avait-il dit, et que je tiens à lui donner en souvenir de mon grand-père.

Le prince de Bismarck était l’inspirateur de cette résolution. Mais, comme il lui importait que la Cour d’Autriche n’en prit pas ombrage, il envoyait à Vienne, en le chargeant d’explications amicales, le général de Waldersee, désigné depuis longtemps pour participer au commandement des armées austro-allemandes en cas de guerre avec la Russie. À cette date, le Cabinet de Berlin ne redoutait la guerre que de ce côté. Mais il était convaincu que la France s’en mêlerait, et, comme le vieux de Moltke semblait craindre que l’Allemagne ne put tenir tête des