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l’Empereur me l’avait demandé comme un service personnel, je n’avais pas le droit de refuser et je me décidai à faire le sacrifice. » Je l’assurai très sincèrement que j’en étais très heureux. L’ayant vu en 1859 à Constantinople comme ministre de trente-six ans, lorsque j’étais deuxième secrétaire à Athènes, j’avais conçu une très haute opinion de son intelligence et de ses talens, et je m’attendais toujours à ce qu’il devint le successeur du prince Gortchakof.

Nous allâmes le lendemain ensemble à San Stefano voir le général Todtleden, dont je pris congé, et le jour suivant 4/16 mai, je pus quitter Constantinople pour me rendre à Berlin, où ma femme, qui passait l’hiver à Heidelberg avec mes enfans (sauf l’aîné qui était au collège à Moscou), devait venir à ma rencontre.

J’allai voir à Berlin notre ambassadeur, M. Oubril, qui m’interrogea avec intérêt sur les détails des questions qui se posaient devant nous, et me confia sous le sceau du secret les arrangemens qu’on était sur le point de conclure avec l’Angleterre, et que le comte Schouvaloff, qui venait de traverser Berlin, était allé porter à Saint-Pétersbourg. Je fus épouvanté de l’importance des concessions que nous faisions. Mais on était effrayé, à Pétersbourg, outre mesure, et on y demandait la paix à tout prix. Le Congrès devait se réunir sous peu à Berlin, et on allait s’occuper de sa composition. Je m’installai en attendant à Heidelberg, et ce n’est que lorsque je commençai à me reposer que je sentis combien toutes mes forces étaient épuisées. Le fameux médecin professeur Friedreich, que je consultai sur mon état, me déclara que mes organes étaient intacts, mais que toute ma constitution était tellement ébranlée et épuisée que la moindre maladie sérieuse pouvait m’emporter. Il me recommanda le calme et le repos absolu ; mais mon moral était tout aussi ébranlé que mon physique, je souffrais des défaites diplomatiques que nous subissions et suivais avec un anxieux intérêt les préparatifs pour le Congrès qui allait s’ouvrir à Berlin.

Vers la fin de mai (vieux style), je reçus du ministère un télégramme qui me demandait si l’état de ma santé me permettrait de me rendre pour le Congrès à Berlin, afin d’y assister nos plénipotentiaires en qualité d’expert. Quoique pas encore remis de ma maladie et peu satisfait du rôle indéterminé qui m’était réservé, je n’hésitai pas à répondre que j’étais prêt à me