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JEUNE FILLE.

Bientôt, les applaudissemens stupides achèvent de déchirer l’enchantement et de dissiper l’illusion. L’électricité blanche verse sur mille visages une clarté décevante et morne; le mys- térieux ensorcellement, comme un vol effaré, bat éperdument encore dans mon cœur, puis s’immobilise et tombe. — Angelise, je ne me sens pas bien ; veux-tu que nous par- tions? — Volontiers, dit-elle. Et, consultant le feuillet imprimé : — Nous avons eu tout le plus beau. Je ne raffole pas de ce qui reste à entendre. Partons sans regret. Dehors, le froid me ranime, nous marchons sans hâte. — Le u thé » oîi je te mène, dit Angelise, est tout près. Elle pousse la porte d’une boutique où l’on semble vendre des épices et des fruits exotiques, mais non servir des goûters ; tout au fond, quelques petites tables sont séparées par de hauts paravens, et d’étroits asiles s’offrent, assez confortables, avec leurs fauteuils et leurs divans de coin. La lumière atténuée, la tranquillité me calment; comme il est encore tôt, personne ne nous a précédées dans ce refuge, paisible à souhait. — Tu ne m’as jamais menée ici... Mais c’est charmant; depuis quand connais-tu ce repaire ? La « devanture » vitrée est défendue aux regards des pas- sans par une armée d’énormes potiches chinoises, lourdes et ventrues; de la rue, nul ne peut savoir que l’on goûte ici. J’ajoute : — C’est un endroit rêvé pour des amoureux. Angelise a retiré ses gants, et, les coudes sur la table, k tête dans ses belles mains, elle me regarde avec une tristesse infinie. — J’y suis en effet venue avec mon amoureux... Mes yeux étonnés plongent dans ses yeux mystérieux, mais sincères. — Mon amoureux : mais oui, Juliette; tu ne sais pas son nom, tu ne le connaîtras jamais ; à quoi bon maintenant? Ahl ce n’est pas le portrait du Louvre ; ce n’est pas un rêve, ce fut une réalité... — Ce fut? Dans nos tasses, je verse hâtivement le thé qui fume; je