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SOUVENIRS
D’APRÈS LA GUERRE DE 1877-1878 [1]

Le traité de San Stefano était à peine signé que surgissaient déjà les difficultés pour son exécution.

Deux questions immédiates se présentaient à l’Etat-major : la ratification du traité par le Sultan et le désir du grand-duc Nicolas d’entrer en rapports personnels avec ce souverain qu’il sentait instinctivement pouvoir gagner par des attentions et des procédés auxquels Abdul Hamid ne saurait rester insensible.

Pour la première de ces questions, le général Ignatieff s’était incontinent mis à l’œuvre. Au lendemain même de la signature de l’acte, le lundi 20 février, il se rendit à Stamboul, accompagné de sa femme et de ses secrétaires intimes et alla faire sa visite aux ministres ottomans à la Porte, ainsi qu’à Son Excellence, l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie, comte Zichy.

Il y avait peut-être un peu trop de précipitation dans la résolution du général de se mettre en rapports immédiats avec les Turcs. Il se mêlait au désir de pousser l’affaire de la ratification un sentiment de vanité personnelle, l’envie de jouir de son triomphe sur un ennemi terrassé, de pouvoir rappeler aux conseillers du Padischah combien ils avaient eu tort de n’avoir pas prêté l’oreille à ses conseils, obéi à ses injonctions. Le procédé blessa les Turcs et ne contribua certainement pas à faciliter un accord que le général Ignatieff, considéré à Constantinople comme le fauteur de la guerre, était certes la personne la moins apte à amener. Il se trompa également sur les intentions et dispositions du comte Zichy, qui avait avant la rupture si pleinement subi son influence. Diplomate

  1. Voyez la Revue du 15 mai et du 15 juillet 1915.