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intérêts, son honneur même au soin de sa sécurité. Comme tout est relatif, il y a des jours où, vraiment, nous nous prenons à éprouver pour la Bulgarie une espèce de considération comparative, car si elle est avide, rapace et sans foi ni loi, du moins le risque d’une guerre ne l’arrête pas, elle se bat. La Grèce ne se bat pas, et la note officieuse suppute, d’après l’avis, dit-elle, des spécialistes étrangers les plus qualifiés, le nombre d’hommes que les Alliés devraient envoyer pour lui inspirer confiance. Il n’y a qu’un mot pour exprimer le sentiment qui la fait agir, ou plutôt qui l’en empêche, c’est la peur, la peur de l’Allemagne, qu’une propagande sans scrupule, faite de mensonges et de corruption, a propagée dans ces États balkaniques qu’on a connus autrefois si différens de ce qu’ils sont aujourd’hui, et qui peut-être le redeviendront un jour. Mais, comme l’a dit un jour M. Venizelos, il sera trop tard, le mal fait sera irréparable. En attendant, sait-on comment le roi Constantin est qualifié par ses admirateurs plus ou moins intéressés ? Plusieurs journaux d’Athènes lui décernent pompeusement le même titre, mais c’est l’Esperini qui y met le plus devrai enthousiasme. « Pour la seconde fois, s’écrie-t-il, le Roi sauve le pays; il s’appellera désormais Constantin le Sauveur. Vive le Roi ! » Il est fâcheux que les Grecs, qui ont eu jadis un sens si délicat de l’ironie, en soient aujourd’hui aussi teutoniquement dépourvus.

Que faire d’un pays tombé dans cet état d’âme? Ce n’est pas avec des cadeaux qu’on peut l’en tirer. Aucune offre, quelque considérable, quelque alléchante qu’elle soit, ne saurait le décider à tendre la main pour la saisir : il craint trop qu’on ne lui donne sur les doigts. Sir Ed. Grey aurait pu s’attendre à ce qui lui est arrivé : puisse du moins la leçon n’être pas perdue ! Veut-il décider la Grèce et d’autres encore à aller au secours de la Serbie? Que l’Angleterre y aille elle-même, avec nous, avec la Russie, avec l’Italie : qu’elle y aille vite et en forces suffisantes. Il n’y a pas d’autre moyen de décider les Balkaniques à faire cause commune avec elle : tout le reste ne sert à rien.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.