Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contemporain d’une science extrêmement rigoureuse, très sûre de ses procédés, un peu entichée de ses disciplines : « le temps des belles ignorances est passé, » remarque-t-il. Et son originalité, qui prouve la puissance de son esprit, ce fut d’être cet Encyclopédiste parmi les savans très difficiles, d’être l’un d’eux, et non le moins fervent, mais le moins jaloux : il ne gardait pas pour lui les subtils plaisirs de la pensée.


Mais où va-t-il, si bien muni de littérature, de science et de philosophie ? Nous apercevons le philosophe et demandons le système. Ah ! craignons de lui attribuer un système : il eût dédaigné le mot, refusé cette prison pour ses idées. Les grands amateurs d’idées n’ont pas de système ; et les viveurs en activité font sagement de rester célibataires. Un système l’aurait gêné : il ne s’abstenait pas de se contredire, si deux idées mal accordées le tentaient. Cependant il a, sinon sa doctrine, au moins ses prédilections. Nous les verrons apparaître bientôt, et assez nettes. Premièrement, regardons-le qui se procure des idées : et il choisira.

Il considère que toutes les opinions qui ont cours ici-bas, sous le nom de préjugés, de dogmes ou de certitudes, sont l’œuvre de ce mécanisme intellectuel souvent décrit, l’association des idées. Or, les idées se réunissent logiquement. Mais il n’est rien de plus capricieux ou complaisant que la logique, avec son air d’austérité, avec sa réelle facilité. Bref, les idées se sont réunies par hasard, ou à peu près ; et puis le temps a consacré l’aventure de leur union. Ce qu’on appelle opinion, croyance et même, à force d’orgueil, vérité, Rémy de Gourmont le qualifie de lieu commun, de banalité universellement répandue. La vérité, cette vérité-là, c’est, pour l’homme, « son bâton de voyage à travers la vie ; » c’est encore « le pain de sa besace et le vin de sa gourde. » L’homme a soin de ne pas trébucher, de ne pas mourir de faim ou de soif : conséquemment, il garde avec acharnement sa provision d’idées réunies par hasard et de longtemps. L’homme ordinaire, le simple voyageur de la vie : mais le philosophe ? Le philosophe, lui, fait de la dissociation d’idées. Autant dire que la philosophie a pour but de réviser les opinions courantes et que son stratagème le meilleur est l’analyse. Évidemment ! Mais il y a, dans le projet de Rémy de Gourmont, quelque chose de plus et autre chose, et qu’on discernera par des exemples de la besogne à laquelle il se livre assidûment. Voici trois exemples de ses dissociations d’idées ; je les emprunte à chacune de ses trois études favorites, qui sont et la littérature, et la science, et plus généralement la philosophie.