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guère jamais écrit sur un sujet qu’il n’en fit, en même temps, la découverte : « discourir sur ce que l’on sait trop bien, quel ennui ! » Sans doute ! et mettons qu’il travaille en même temps qu’il « épilogue : » mais il travaille. Toute occasion lui est bonne : après maintes occasions, il fut généralement informé. Ses découvertes le ravissent ; mais, chacune des plus récentes, il la case dans une série ancienne. Ainsi, ses découvertes ne sont pas ces Amériques que de moindres sa vans ou lettrés annoncent avec un ridicule enthousiasme de nouveauté. Il sait où en est la recherche et continue.

Il a lu tous les philosophes, depuis les Grecs et depuis les Éléates jusqu’aux « absurdes » métaphysiciens d’Allemagne. Il n’a pas négligé les Scolastiques et, dans notre moyen âge, il a distingué plusieurs hérétiques qui, pour le satisfaire, avaient leur impiété supposée, au moins leur désobéissance et leur façon de risquer, sous les symboles de la foi, l’audace de leurs hypothèses. Il estime et traite comme un ami Celse qui, à l’époque des Antonins, réfuta le christianisme ; et il pardonne bien des méfaits d’orthodoxie à Origène qui, pour réfuter Celse, dut citer les meilleurs passages du Discours véritable : sans Origène, l’hérétique serait perdu. Il méprise Voltaire qui parle de Bacon « d’après des causeries de taverne » et qui ne l’avait pas lu ; car Voltaire nous renvoie « au livre » de Bacon, tout de même que si Bacon n’avait écrit qu’un livre. Lui, Rémy de Gourmont, n’a pas redouté de lire le latin de cet Anglais, vu qu’il est futile de se fier à la traduction de La Salle, toute pleine d’arrangement. Il a cherché dix ans et n’a été content qu’après avoir trouvé à Rome, dans une vente, la Philosophia naturalis de Roger-Joseph Boscovich, natif de Raguse et qui mourut à Milan l’année 1787, jésuite il est vrai, mais un de ces jésuites « fort libres » qu’il n’a point envie de dénigrer. Tous les systèmes, il les a examinés et appréciés, de telle sorte qu’un système qui survient, tout frissonnant de jeune hardiesse, ne le prend pas au dépourvu : il vous le range parmi les autres, parmi les vieilles tentatives de l’inutile dialectique.

Il est au courant de la science, et de son histoire, et de ses vœux. Quand M. Péladan cite Léonard de Vinci comme le précurseur de Copernic, Galilée, Kepler, Harvey, Lavoisier, Pascal, Huygens, Haller, qui encore ? — non, répond doucement Rémy de Gourmont. Léonard dit que le soleil ne se meut pas ; mais Cicéron, Diogène Laërce et Plutarque le disaient aussi. Léonard dit que le sang se meut dans le corps humain ; mais « il ne devance pas Harvey, pas même Césalpin, pas même Colombo ou Servet : il transcrit Galien, » voilà