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au monde pour développer et compléter le luthéranisme ; mais l’orthodoxie luthérienne poursuivait en Strauss un implacable ennemi de la foi.

Par une contradiction fréquente, ce révolutionnaire en religion était en politique le plus conservateur des hommes. Il se disait et se croyait libéral, mais sa foi seule était pénétrée de libéralisme. Wurtembergeois de naissance, Strauss professe déjà en politique toutes les idées prussiennes. Dans les peuples, il n’aperçoit qu’un vil bétail dont les souverains ont le droit de disposer à leur gré. Le monarque est maître et l’Etat est Dieu. Le mot pangermanisme n’existait pas encore à l’époque où sévissait David Strauss ; mais le fléau s’annonçait, si le mot pour le désigner n’était pas d’un usage courant. Strauss est un pangermaniste avant la lettre. Rien de plus instructif que certaines pages de son volume sur Voltaire : « La guerre, écrit-il quelque part, est sans doute un grand mal, et on ne saurait trop décrier les guerres d’ambition telles que Louis XIV les faisait ; mais quand Frédéric envahit la Silésie, il y était poussé par le besoin d’agrandissement de sa jeune Prusse ou, encore mieux, de l’Allemagne elle-même qui avait besoin de la Prusse pour s’affranchir du joug de la catholique Autriche. » Ineffable candeur ! n’est-il pas vrai ? Les conquêtes de la Prusse sont la juste récompense de ses vertus, celles de la France sont d’odieux abus de la force. David Strauss a l’œil du lynx pour découvrir les points faibles du dogme chrétien. Il se fait taupe pour juger le dogme de l’hégémonie prussienne. Ce Wurtembergois a tout l’orgueil des Brandebourgeois et leur solide pharisaïsme. Au lendemain de 1870, l’historien Mommsen a comparé les nations latines à un fumier où devait prospérer le peuple allemand. David Strauss emploie un langage moins bas ; mais sa conviction est la même. La France meurt de la mort réservée aux choses déliquescentes : « Ce n’est pas seulement, déclare-t-il, la littérature de la France qui est corrompue, c’est la nation même et, avant la guerre actuelle, nous n’avions aucune idée de cette pourriture générale et d’une telle dissolution de tous les liens moraux. »

Renan regrettait à coup sûr ces violences, car la violence n’était pas dans son caractère. Mais aussi n’en mettait-il aucune dans ses sentimens contre l’Allemagne. A maintes reprises, il a déclaré qu’il devait à Gœthe, a Herder, le meilleur