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raisons pour cela. Certains, dont était le duc de Broglie, faisaient remarquer avec raison que M. de Bismarck n’était peut-être pas le conseiller le plus désintéressé pour déterminer l’emploi des forces militaires de la France.

Je ne rappellerai pas autrement les idées que le duc de Broglie exprimait dans cette circonstance. Quelques-unes de ses craintes se sont réalisées. D’autres, au contraire, n’ont pas été ratifiées par les événemens. Aujourd’hui, son patriotisme se réjouirait de ce que l’expansion coloniale ait, en fait, donné à son pays des occasions précieuses d’entretenir sa flamme guerrière. Que de bons soldats, et de vaillans officiers, et de chefs incomparables ses colonies ont donnés à la France !

Cependant, vers 1896, de longues discussions avaient pour objet l’utilité de la politique coloniale. Le duc de Broglie remarquait, au sujet de l’Algérie, qu’après plus de soixante ans, elle ne rapportait encore rien à la France, et il ajoutait : « Les plus satisfaits ne peuvent prétendre même à prévoir le jour où on pourra tirer de nos possessions nouvelles soit une recrue pour notre armée, soit une recette pour notre budget. » En ce qui concerne l’armée, l’illustre écrivain serait heureux, en parcourant aujourd’hui le front de bataille anglo-français, de constater la présence dans nos rangs de représentans nombreux et d’une valeur incontestée des régions africaines. Longtemps elles retinrent, pour compléter leur soumission, des contingens d’Europe ; maintenant, Algériens, Tunisiens, Marocains sont avec nous pour faire face à l’ennemi séculaire de la France. Quant aux réserves alimentaires et autres dont les colonies apportent vers nos rivages l’appoint très précieux, ceux-là pourraient en détailler l’importance qui ont la lourde charge de prévoir les lendemains encore nombreux dont est faite cette guerre.

Aujourd’hui que la politique coloniale est pratiquée par tous les grands peuples, et même par quelques-uns des plus petits, ces discussions n’auraient pas d’objet. Mais il faut les rappeler en se plaçant à une époque où la France innovait en cette vaste matière. Si, après 1870, désireuse de détourner les regards français d’une frontière mutilée, l’Allemagne applaudissait à l’expansion de la France vers des contrées lointaines, elle ne tarda pas à se rendre compte de l’intérêt qu’elle avait elle-même à suivre la même politique. Dès 1883 et 1884, le nouvel Empire, sentant