Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extrêmement quand le romancier s’attaque à des mentalités, à des civilisations si différentes des nôtres. Nolly a osé cette périlleuse tentative et me paraît y avoir réussi. Ce que j’admire en lui, plus encore peut-être que son art, pourtant si fin, c’est son instinct, son intuition des indigènes, sa sollicitude pour leurs mœurs, leurs religions, leur compréhension des événemens, des hommes et des choses, son ambition de connaitre, de sonder leur cerveau et leur cœur. Cela, c’est un signe de race. De Dupleix à Lyautey, c’est le signe de la grande lignée coloniale française. Cela, c’est beaucoup plus que de la littérature. Parce que des milliers d’officiers et d’administrateurs, — qui tous n’écrivirent pas, ne s’exprimèrent pas, — pensèrent, agirent comme Nolly, mus par un penchant séculaire de l’esprit, une multitude d’hommes, dont la couleur n’était pas la nôtre, est venue se faire tuer généreusement, presque avec joie, pour la défense de nos frontières envahies.

Hiên le Maboul et la Barque annamite représentent, si l’on peut dire, la première manière de Nolly. Ce sont des œuvres amoureusement finies, écrites avec soin et simplicité, harmonieuses de contour et de phrase, d’une philosophie un peu étrange, assez amère, d’une libre fantaisie morale, troublantes parfois à cause de la persistance du sourd pessimisme qu’elles recèlent.

Je n’ai pas insisté autant que je l’aurais dû sur leurs descriptions : paysages, marchés, fêtes, agglomérations cochinchinoises ou tonkinoises. Ces descriptions sont délicieuses, d’une plasticité élégante, exacte et sobre.


Nolly possédait les plus heureux dons à la fois d’intelligence et d’exécution. Ses deux premiers romans en témoignent. Ils lui acquirent un cercle de lecteurs qu’on eût vraiment souhaité moins restreint. De nombreux admirateurs devaient le goûter lorsqu’il appliqua ses facultés à un sujet plus familier au public et que, devenu officier d’un bataillon sénégalais, il tira de ses notes de campagne Gens de guerre au Maroc. Une sensibilité aussi vive, aussi tendue que la sienne le prédisposait à tout enregistrer autour de lui, excellemment et comme automatiquement. De fait, ces croquis pris sur le vif, au jour le jour, ont une saveur intense. Néanmoins, ils ne lui suffirent