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beaucoup d’historiens du XIXe siècle, chez des Français aussi bien que chez des Allemands, et Renan l’a formulée avec la plus expresse netteté quand il a écrit : « Il n’y a vraiment dans le passé de l’humanité que trois histoires de premier intérêt, l’histoire grecque, l’histoire d’Israël, l’histoire romaine. Ces trois histoires réunies constituent ce qu’on peut appeler l’histoire de la civilisation, la civilisation étant le résultat de la collaboration alternative de la Grèce, de la Judée et de Rome. » Mais, entre Renan et Mommsen, il y a une différence profonde. Renan, à l’égard des peuples supérieurs, éprouve une sorte de respect pieux et reconnaissant, qui ne l’empêche point de se pencher avec sollicitude sur des races moins glorieusement partagées : on se rappelle de quelle tendresse il a enveloppé l’humble race celtique. Mommsen, quand il constate la prééminence des grands peuples, en parle avec je ne sais quel orgueil agressif, comme s’il s’associait lui-même à leur hégémonie. Quant aux nations plus faibles, non seulement leur disparition ou leur assujettissement ne lui cause aucun regret, aucune pitié, mais il y prend un plaisir de conquérant. Il mentionne, parmi les spectacles les plus intéressans de l’histoire, « l’anéantissement des races mal douées ou incultes sous l’alluvion de celles qui sont marquées au coin d’un plus haut génie. » Dans la gigantesque bataille des peuples qui est le destin de l’humanité, il est de toute son âme avec les vainqueurs contre les vaincus, avec les maîtres contre les esclaves.

Ces maîtres, ces vainqueurs, ces peuples élus, qui sont-ils ? Mommsen nomme quelque part, comme dominant toute l’histoire ancienne, Thèbes, Carthage, Athènes et Rome. Ailleurs, il indique les deux races les plus importantes dans l’histoire, celle des Araméens et des Indo-Germains, et ajoute que, très probablement, toutes deux remontent à une commune origine. Sous le nom d’ « Araméens, » il semble bien entendre, non pas les Hébreux, qui sont pour Renan et tant d’autres un des peuples conducteurs du genre humain, mais plutôt les Phéniciens et les Carthaginois : divergence significative, car les Hébreux n’ont eu qu’une influence religieuse, toute spirituelle et impalpable, tandis que Tyr et Carthage ont régné par l’argent et l’épée, ont créé des comptoirs, des colonies, des provinces, et la prédilection de Mommsen ne va pas aux royaumes qui ne sont pas de ce monde. Mais au fond, Hébreux et même