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engagemens définitifs, elle devait les accepter sans hésitation. M. Radoslavof a demandé le temps de réfléchir ; mais les événemens se sont précipités et ils ont été autrement clairs que ne l’avaient été jusqu’alors les propos du ministre bulgare et qu’ils ne l’ont été depuis. Ceux qui avaient encore quelques doutes sur ses intentions, ou plutôt sur celles du roi Ferdinand, ont été désabusés.

Ils auraient pu d’ailleurs l’être plus tôt, car, à certains symptômes, il était difficile de se tromper sur le but poursuivi par le gouvernement bulgare. C’est ainsi que le général Fitchef avait été remplacé par le général Savof au commandement général de l’armée. Les deux personnages sont connus. Le premier, homme réfléchi, pondéré, ennemi des aventures, ne se serait certainement pas prêté à une politique d’agression injustifiée : il s’y était refusé en 1913. C’est pourquoi on l’a remplacé par le second qui, après avoir joué un rôle honorable dans la guerre contre la Turquie en 1912, a compromis son nom en se faisant, après cette guerre, l’instrument du roi Ferdinand dans l’attaque perfide de la Serbie et de la Grèce. Depuis lors, le général Savof vivait dans une disgrâce apparente, toujours à la disposition du Roi quand il jugerait à propos de sortir lui-même de l’inaction pour quelque entreprise hardie, où les mêmes moyens que par le passé produiraient peut-être de meilleurs effets. Le retour du général Savof a paru être celui d’un oiseau de mauvais augure : tout le monde y a vu une intention qui commençait à ne plus se dissimuler. Quelques jours plus tard, M. Radoslavof recevait une députation chargée de lui remettre un mémoire des Arméniens odieusement persécutés en Turquie, traqués et massacrés comme au plus beau temps d’Abdul-Hamid. Ces malheureux, le sachant bien avec la Porte, sollicitaient son intervention auprès d’elle en vue d’adoucir leur situation effroyable : démarche un peu imprévue, qui montre l’idée qu’on se fait en Orient des rapports de la Bulgarie et de la Turquie. Ces ennemis d’hier et de tous les temps sont considérés comme étant devenus les meilleurs amis du monde. M. Radoslavof ne les a pas détrompés, mais, au lieu de parler d’eux et de l’intérêt que mérite leur infortune, il a profité de l’occasion pour faire savoir au monde que le traité bulgaro-turc, s’il n’était pas encore signé, était déjà appliqué et il a décrit minutieusement les territoires concédés en ajoutant qu’ils étaient dès ce moment occupés. On ne nous dit pas si les Arméniens ont été particulièrement touchés de cette nouvelle, dont on leur donnait la primeur ; ils étaient venus pour autre chose ; mais ils ont dû partir convaincus que M. Radoslavof pouvait tout à