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Le roi Ferdinand a trouvé dans M. Radoslavof un ministre digne de lui : maître et serviteur semblent avoir été faits l’un pour l’autre par une nature prévoyante. Jusqu’à ces derniers jours, on ne voyait que le ministre, il occupait seul le devant de la scène ; mais on se doutait bien que le Roi était tout près, dans la coulisse, et qu’il faisait mouvoir le personnage. Pendant quelque temps, il avait paru ne plus s’occuper de son gouvernement d’une manière directe et personnelle. Le coup brutal qui l’avait frappé en 1913 l’avait comme assommé. Mais sa pensée n’était nullement endormie ; il rongeait son frein et attendait son heure. Pendant ce temps, M. Radoslavof faisait figure de ministre dirigeant. Dans quel sens dirigeait-il, c’est ce qu’il était, à première vue, assez difficile de distinguer. Son application consistait à couvrir son jeu, à brouiller les cartes, à dire successivement blanc et noir, quand, même, il ne le disait pas à la fois. Il faisait alors ses confidences à des journalistes et ne leur cachait pas qu’il poursuivait conjointement deux négociations difficilement conciliables, l’une avec la Porte pour obtenir délie la concession territoriale du chemin de fer de Dédéagatch, l’autre avec les Alliés pour obtenir d’eux la Macédoine et Cavalla : son idéal, évidemment, aurait été de prendre des deux mains. Son art assez grossier était celui du maquignon qui marchande d’un côté pour se faire offrir une surenchère de l’autre. Et pour agir sur tous, il faisait valoir très haut la valeur de l’armée bulgare, qu’il disait reposée, réorganisée, bien encadrée, solidement armée, toute prête à l’action. Contre qui, c’est la seule chose qu’il ne disait pas et il déclarait même assez volontiers qu’il ne le savait pas encore, mais il ajoutait que la Bulgarie ne resterait sûrement pas neutre jusqu’au bout et qu’elle interviendrait au bon moment. Il parle aujourd’hui de la neutralité comme de la politique permanente de la Bulgarie : tel n’était pas alors son langage. On a pu croire depuis, — et c’est une opinion très soutenable, très vraisemblable même, — que tout cela n’était qu’un jeu et que M. Radoslavof, ou plutôt que le roi Ferdinand, avait sa résolution prise depuis longtemps. Plusieurs indices donnent à penser que ses engagemens avec les Puissances du Centre sont d’assez vieille date. Il avait éprouvé de l’autre côté des déceptions qui lui avaient été amères, au sujet par exemple d’un emprunt qu’il a voulu faire en France, au printemps de 1914, et qui lui a été refusé. On a dit que nous avions eu tort de ne nous être pas prêtés à cet emprunt et nous t’avons cru. A voir cependant l’usage qu’a fait la Porte de celui que nous lui avons concédé, on se demande si nous n’avons pas été plus