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enrichir d’une nouvelle consultation les futurs traités du droit des gens et serait-on obligé d’en venir à un acte, si atténué fût-il. L’honneur était engagé. On s’en est rendu compte à Berlin où on ne veut rompre avec l’Amérique qu’à la dernière extrémité et si on ne peut plus faire autrement, mais où on préfère continuer la conversation inoffensive qu’entretiennent les notes échangées. On sait d’ailleurs qu’en Allemagne l’opinion n’est pas tout à fait unanime sur l’opportunité de la guerre maritime, telle qu’elle a été inaugurée en février dernier. Le gouvernement lui-même est divisé à ce sujet, et M. de Bethmann-Hollweg, qui a déjà quelques autres remords sur la conscience, se demande quelquefois si cette guerre est bien utile. Mais l’amiral de Tirpitz ne partage pas ce doute et le parti pangermaniste, dont il est un des plus brillans coryphées, se livre à de véritables accès de rage lorsqu’on met la chose en question. La lecture de ses journaux est à cet égard infiniment instructive ; la brutalité de la race s’y donne libre carrière ; on y déclare que l’Allemagne éprouverait une humiliation profonde, si les sous-marins ne continuaient pas d’assassiner des femmes et des enfans sans se préoccuper de leur nationalité. A quoi servent ces attentats, on ne se le demande pas, car, si on le faisait, on s’apercevrait tout de suite qu’ils ne servent à rien. Et nous ne parlons pas seulement de ceux que commettent les sous-marins. Imaginez pour un moment que les Allemands n’aient pas accumulé les cruautés, les barbaries, les destructions de monumens qui les ont déshonorés, leur situation militaire serait exactement la même, et leur situation morale beaucoup meilleure. Il est impossible que cette pensée ne vienne pas quelquefois à l’esprit de ceux d’entre eux qui ont encore conservé la faculté de réfléchir, et alors ils ont peut-être des insomnies tourmentées.

Quoi qu’il en soit, on a pu croire un jour que M. de Bethmann-Hollweg l’avait emporté sur l’amiral de Tirpitz, champion de la manière forte, et, ce jour-là, le comte Bernstorff, ambassadeur d’Allemagne à Washington, est venu faire à M. Lansing, ministre américain des Affaires étrangères, une communication qui ne ressemblait pas aux précédentes. Aussi y a-t-il mis quelque embarras et, rentré chez lui, a-t-il éprouvé le besoin de préciser davantage et par écrit. C’est le texte même de ses instructions qu’il a fait parvenir à M. Lansing. « Les paquebots, y lit-on, ne seront pas coulés par nos sous-marins sans avertissemens et sans que des mesures soient prises pour assurer la sécurité des vies des non-combattans, à la condition qu’ils n’essaient pas d’échapper ou d’offrir de la résistance. » La lettre du comte