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peu d’apparence, on en conviendra même à Berlin, que l’empereur Nicolas ait pris le commandement de ses armées, pour faire non pas la guerre, mais la paix : et il y a peu d’apparence aussi qu’il eût pris ce commandement, s’il n’avait pas une confiance absolue dans le dénouement.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que, depuis quelques jours, l’empereur Nicolas a fait connaître à ce sujet son sentiment que rien n’a pu ébranler, que tout, au contraire, a fortifié. Le 5 septembre, il est venu présider la séance d’inauguration des conférences auxquelles il a donné pour objet l’unification des mesures de défense nationale. Le discours qu’il a prononcé à cette occasion, très simple, très digne, très ferme, témoigne une fois de plus de la manière dont il comprend son devoir et dont il dicte le leur aux autres. « Les corps législatifs que j’ai, a-t-il dit, convoqués dans la présente session, m’ont donné fermement, sans la moindre hésitation, la seule réponse qui soit digne de la Russie, réponse que l’attendais et qui est de poursuivre la guerre jusqu’à la complète victoire : je ne doute pas que telle soit la voix du pays russe tout entier. » L’Empereur a raison de ne pas en douter, car la Russie donne en ce moment un merveilleux spectacle Elle reconnaît qu’elle n’était pas prête à la guerre ; elle accuse, non sans véhémence, l’administration, la bureaucratie, de n’avoir pas rempli son devoir, et elle fait un effort vigoureux pour réparer les négligences qui l’ont mise près de sa perte. Dans la séance dont nous venons de parler et où le ministre de la Guerre s’est fait entendre après l’Empereur, M. Koulomzine, président du Conseil de l’Empire, et M. Rodzianko, président de la Douma, ont tenu à leur tour le langage le plus énergique. Ils ont protesté de la volonté du pays d’aller jusqu’au bout, et M. Rodzianko a ajouté qu’il était « résolu à briser à jamais les odieuses chaînes allemandes. » Mais c’est surtout à la Douma que cette volonté s’exprime avec le plus de force. La tribune retentit de discours imprévus où l’on sent éclater tout un arriéré de sentimens trop longtemps comprimés. Ces sentimens ne sont pas exempts d’amertume ; ils sont comme chargés de critiques, de reproches, d’objurgations, de condamnations, autant que les nuages peuvent l’être d’électricité. Il y aurait danger à vouloir en étouffer l’expression, mais rien de tel ne se produit et la Russie éprouve un vrai soulagement à pouvoir dire enfin ce qui lui pesait sur le cœur.

La Russie, disons-nous, car ce n’est pas seulement à la Douma qu’on parle librement, c’est partout. D’un bout à l’autre du pays, toutes