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Quorum pars magna fui… En deux mots, l’historien de l’Empire libéral est-il impartial ?… Si l’on demandait : — L’historien de l’Empire libéral est-il sincère ? — Assurément, oui : toute son œuvre a le persuasif entrain de la sincérité. Est-il véridique ? Il a prononcé la rude condamnation de l’histoire astucieuse et frelatée ; il a dénoncé comme un crime « la prostitution de l’histoire. » Est-il impartial ? Évidemment, non. Et il s’est expliqué là-dessus avec franchise. « Peut-on, dit-il, être impartial en racontant les événemens auxquels on a participé ? » Au surplus, qu’entendez-vous par cette impartialité ? Si vous exigez qu’on n’ait et qu’on n’exprime aucune opinion sur les événemens et les hommes, « je me déclare incapable d’être impartial, et je doute qu’il y ait beaucoup d’historiens, écrivant même sur les faits auxquels ils sont restés étrangers, qui puissent s’astreindre à cette neutralité sceptique… » Un chartiste qui étudie le règne de Merowig (ou Mérovée) pratique, sans se faire violence, les vertus de l’impartialité complète, ou indifférence morne, pourvu qu’il ait le moins du monde l’esprit dispos et le tempérament flegmatique : encore fera-t-il bien, cette année, d’interrompre ses travaux, s’il est au point de raconter la bataille des Champs catalauniques, où furent repoussées les hordes d’Attila. Mais Émile Ollivier racontait l’Empire libéral, le dialogue de son gouvernement avec Bismarck, l’invasion, la défaite ! En outre, il n’avait pas la mansuétude et la froideur méticuleuse d’un chartiste : je l’ai vu en colère contre Louis le Hutin. Comment son histoire de l’Empire ne serait-elle pas toute frémissante de ses souvenirs, de ses amitiés, de ses enthousiasmes, de ses chagrins, de ses rancunes et de son patriotisme blessé ? Car il pense à lui ; et il se défend. Mais il pense, avec une infinie douleur, à la France meurtrie, au sol souillé, dévasté, à l’Alsace perdue, à la Lorraine perdue, à la gloire perdue. Il vient de peindre la bataille de Gravelotte, si sanglante ; et il a indiqué nos pertes, soldats et officiers, par milliers et par centaines : « En dictant ces chiffres, je n’en puis plus, tout pleure en moi ! » Or, sa légende lui impute la responsabilité première du sang versé dans les combats que sa politique n’a pas su prévenir. On l’accuse d’avoir entrevu ces malheurs et d’en avoir accepté l’éventualité facilement, d’un cœur léger. Ce mot qu’il a dit, à la tribune de la Chambre, le 15 juillet 1870, quand la guerre était, sinon déclarée,