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d’enfilade, décolla soudain. Aussitôt, les Allemands ayant occupé, sur notre rive, la ferme de Groote Hemme accablèrent d’un feu à revers les défenseurs de Saint-Georges. Le danger croissait, on était exposé par devant, par derrière, de flanc. Tandis qu’au centre du régiment, devant le pont, certaines compagnies étaient réduites à sept soldats et sous-officiers, et que l’ordre réitéré arrivait au major Waslet de tenir ferme avec ces débris, le bataillon de droite voyait distinctement les Allemands avancer vers lui, longeant les anciennes tranchées du 23e et le chemin de halage. Opiniâtres sous les coups répétés de notre fusillade, ils approchaient toujours, criblant de balles nos abris et nos couloirs ouverts à leur feu. On renforce comme on peut ce bataillon de droite qui, selon le mot d’un de ses chefs, est en agonie. Les hommes ne tiennent plus que par une volonté dure et presque surnaturelle. On entend des réponses comme celle du lieutenant Bastin qui songe aux hommes qu’il expose : — « Mon major, j’irai, je me ferai tuer ! » le bruit de la fusillade étouffe le cri des mourans. Bientôt pourtant la pression est telle que toute résistance serait inutile folie : le bataillon se replie. Les hommes qui restent des autres unités canardent encore les ennemis qui, infiltrés sur notre rive, se trouvent serrés sur l’étroit chemin de halage entre la digue et le fleuve, et qui parfois se battent avec nous, — dramatique combat d’aveugles, — à coups de baïonnette à travers la mince épaisseur de gazon. Enfin, la densité des assaillans décuplant tout à coup, devant nos tranchées démolies, le clairon sonne la retraite : la route de Saint-Georges est ouverte. Mais, en deux jours, le 14e de ligne, digne frère, par la souffrance et par la gloire, du 7e, était réduit à presque rien. Sur dix-sept cents hommes qu’il comptait encore hier matin, il ne lui en restait plus sept cents !

Derrière lui, c’est la ruée. C’est l’Yser franchi, les tranchées violées, les cadavres fouillés, les blessés massacrés. C’est le piétinement, sur le pavé sanglant, des régimens compacts et drus. C’est Saint-Georges, village de paix et de silence, qui pousse un grand cri, et meurt égorgé. C’est, sur les voies qui débouchent du bourg, les compagnies enivrées qui déjà s’aventurent en un trot massif. La plaine va-t-elle être envahie, l’armée belge tournée, Nieuport isolé ? Non, non ! Deux batteries du major van Bever, la 28e et la 29e qui se retirent avec le 14e de ligne