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elles se déplacent de quatre cents mètres, — mais vers l’ennemi, dans une position si aventureuse que, le soir, il faudra que les artilleurs ramènent les canons, un par un, à bras, en se couchant à chaque rafale, tant leur chemin sera criblé d’obus, obstrué de shrapnells.

La ligne où l’on arrête les hommes, — Schoorbakke, Vicogne, Stuyvekenskerke, — n’est marquée par aucun tracé naturel, par aucune défense. Les soldats, bientôt retenus et ralliés, — beaucoup déjà se redressent, — n’ont plus de pelle pour se faire des abris, ils sont exposés de toutes parts, au milieu d’une plaine nue, au tir opiniâtre des Allemands. Le 4e de ligne, le 2e, les grenadiers, le 8e se reforment, se soudent tant bien que mal, se tâtent les coudes : barrière fragile, mais obstinée, cible tenace, mais encore un peu flottante. Le moment est terrible, car chacun, en voulant résister, sent son impuissance absolue. Chacun n’est plus, devant la mort, qu’une chose inerte, passive, dont l’héroïsme consiste à rester là. A peine le bruit d’une opportune contre-attaque menée vers Oudstuyvekenskerke par la 5e division d’armée et des bataillons des 11e et 12e de ligne momentanément dépêchés vers le centre par les défenseurs de Dixmude parvient-il à rendre un peu d’espoir à ces hommes, tout meurtris encore de leur recul. Ils voient la réalité dans sa tristesse : ils vont mourir parce qu’ils sont immobiles. Ils sont immobiles parce que l’honneur les empêche de reculer, parce que la fatigue et l’approche d’un ennemi compact les empêchent d’avancer ! Ils se résignent tragiquement, ils sont passifs. Au milieu de la nuit on les fera reculer en silence. Derrière le mince canal sur lequel on les arrêtera, tandis que les plus vaillans prépareront, tant bien que mal, un semblant de tranchée, on en verra quelques-uns se coucher et dormir.


VI

A la même heure, devant Nieuport les Allemands, terrés depuis deux jours dans les replis des dunes, voyaient insensiblement se mêler aux troupes belges les uniformes français, La veille, le général Dossin avait ordonné à ses troupes la reprise de Lombaertzyde. Une colonne d’attaque formée du 1er chasseurs à pied et du 5e de ligne s’était lancée à l’assaut sous les ordres